Lundi 15 juillet 1878
Lettre d’Émilie Mertzdorff (Paris) à son père Charles Mertzdorff (Vieux-Thann)
Lundi 15 Juillet 1878
Mon petit père chéri,
Tante[1] va entrer en possession d’une troisième fille pendant toute la semaine. Tante Louise[2] part ce soir pour La Brière avec Mme de Ségogne[3] et ne rentrera que samedi ou dimanche de sorte que Marthe[4] sera mise en dépôt ici ; on lui mettra un lit dans notre chambre afin que nous soyons tout à fait ensemble. Tu comprends si nous nous en réjouissons ; cette pauvre Marthe a bien le cœur un peu gros de voir partir sa maman, mais ce sera si court, et nous la soignerons si bien !
Te voilà tout à fait réinstallé chez toi[5], mon petit papa, mais j’espère que ce ne sera pas pour longtemps car dans une quinzaine de jours on songera au départ quoique nous ne sachions pas encore où nous nous fixerons et je pense qu’avant de partir tu voudras voir encore un peu l’exposition. Tante va écrire au curé de Douarnenez[6] pour savoir s’il y a des maisons à louer et à quelles conditions parce que même sans louer d’avance il est nécessaire de savoir s’il faut emporter du linge, de l’argenterie &. Elle a aussi été voir hier la vieille Mlle Renard qui a passé quelques jours là-bas et qui lui en a fait une très belle description, il paraît seulement que cela sent la sardine un peu plus qu’on ne le désirerait ; tant pis pour ceux qui n’aiment pas les sardines fraîches. Il paraît que la population ne se compose que de pêcheurs ce qui doit être très amusant à en juger par Port-en-Bessin.
Mme Allain[7] doit aussi écrire à une de ses cousines qui habite Quimper pour avoir quelques renseignements sur ce côté-là. On n’aura bientôt plus que l’embarras du choix.
Bonne-maman[8] continue à aller bien, elle se lèvre tous les jours et a déjeuné hier à table pour la première fois ; mais elle est encore bien fatiguée ce qui est inévitable après une chute pareille ; il est même incroyable qu’elle ne le soit pas davantage. Nous avons passé un bon moment avec elle hier en revenant de la grand’ messe. Dans la journée, Jeanne Brongniart est venue et nous avons fait de la musique. Jean[9] a dîné à la maison et nous avons passé la soirée dans la ménagerie. Nous avons maintenant beaucoup d’amis auxquels nus allons porter du pain et des feuilles fraîches ; hier un petit cerf antilope que j’aime beaucoup s’est échappé dans le grand parc et il a couru comme un fou sans qu’on puisse le rattraper, il avait l’air tellement content qu’il faisait plaisir à voir ; après avoir fait une course folle dans l’herbe, il goûtait un peu de chaque buisson puis il a été boire à la rivière et y a même trempé sa patte apparemment pour voir si c’était froid. Quand il a eu assez joué, il est rentré tout seul dans son petit parc.
Il avait été décidé que tante Cécile[10] irait passer deux mois à la campagne avec Jean, mais on sait maintenant que Noël[11] ne pourra venir qu’au mois d’Août de sorte que tante Cécile serait forcée de rester à Paris, et dans ce cas-là Jean viendrait avec nous, ce dont je ne serais nullement fâchée, comme bien tu penses. Oncle[12] viendra probablement nous retrouver le 6 ou le 8 Août et restera jusqu’au 27 ou 28 ; quant au mois de Septembre on ne fait aucun projet.
Adieu mon papa chéri, j’espère que nous te reverrons bientôt, sais-tu qu’il y a déjà plus d’un mois que tu es parti. Je t’embrasse encore en imagination en attendant que je le fasse d’une manière plus positive et j’embrasse aussi bien fort bon-papa et bonne-maman[13].
Ta fille
Émilie
Henriette[14] est revenue, nous l’avons vue Samedi au cours d’anglais[15] ; elle a très bonne mine et sa maman[16] n’a pas l’air trop fatiguée. Rachel[17] va encore retourner à Uriage, la pauvre fille en est désolée et je le comprends.
Il nous est arrivé une aventure en allant Samedi au cours d’anglais, aventure dont je suis la seule coupable. En descendant du tramway, mon parapluie s’est accroché dans la robe de Marie[18] et lorsqu’elle a sauté du marchepied, pour ne pas déchirer sa robe ou casser mon parapluie, j’ai sottement allongé le bras et [patatras] le portefeuille de Marie avec tous nos livres s’échappe et tombe dans la boue ; il en était tout enduit et les livres aussi car il s’est ouvert en tombant ce qui est le plus ennuyeux, c’est que le cuir est tout taché et qu’on ne peut pas faire partir les traces de boue.
Notes
- ↑ Aglaé Desnoyers, épouse d’Alphonse Milne-Edwards, qui élève Marie et Émilie Mertzdorff.
- ↑ Louise Milne-Edwards, veuve de Daniel Pavet de Courteille.
- ↑ Léonie Pavet de Courteille, épouse d’Alfred de Ségogne.
- ↑ Marthe Pavet de Courteille.
- ↑ Charles Mertzdorff était membre du jury au tribunal de Colmar.
- ↑ D’après le bibliothécaire diocésain de Quimper, le curé de Douarnenez en 1878 serait possiblement Yves Pouliquen (1825-1881), curé doyen de Ploaré en 1869, curé doyen de Fouesnant en 1875, chanoine en 1877.
- ↑ Alice Lebreton, épouse d’Émile Allain.
- ↑ Jeanne Target, épouse de Jules Desnoyers.
- ↑ Jean Dumas.
- ↑ Cécile Milne-Edwards, épouse d’Ernest Charles Jean Baptiste Dumas.
- ↑ Jean Baptiste Noël Dumas.
- ↑ Alphonse Milne-Edwards.
- ↑ Louis Daniel Constant Duméril et son épouse Félicité Duméril.
- ↑ Henriette Baudrillart.
- ↑ Cours d’anglais donné par Céline Silvestre de Sacy, épouse de Frédéric Foussé.
- ↑ Félicité Silvestre de Sacy, épouse d’Henri Baudrillart.
- ↑ Rachel Silvestre de Sacy.
- ↑ Marie Mertzdorff, sœur d’Emilie.
Notice bibliographique
D’après l’original
Pour citer cette page
« Lundi 15 juillet 1878. Lettre d’Émilie Mertzdorff (Paris) à son père Charles Mertzdorff (Vieux-Thann) », Une correspondance familiale (D. Poublan et C. Dauphin eds.), https://lettresfamiliales.ehess.fr/w/index.php?title=Lundi_15_juillet_1878&oldid=62186 (accédée le 18 décembre 2024).
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