Lundi 12 octobre 1874 (A)
Lettre de Marie Mertzdorff (Paris) à son père Charles Mertzdorff (Vieux-Thann)
Paris le 12 8bre 1874
Mon cher petit Papa,
Devine ce que nous avons fait hier Dimanche ? Nous avons été passer notre journée à Louveciennes avec oncle et tante[1]. Nous avons quitté la maison à 8h ½ sitôt la messe une voiture nous a menés à la gare et là nous avons pris le train pour Chatou où un omnibus nous a pris pour Louveciennes. Nous avons trouvé tout le monde en bonne santé et content de nous voir ; Hortense[2] particulièrement. Nous nous sommes mis de suite à table et nous avons bien fait honneur au déjeuner. Puis nous avons joué au croquet pendant fort longtemps. Tante a été voir la sœur Marie qu’elle n’a pas trouvée tandis que M. et Mme Lafisse[3] allaient au-devant des Clavery[4] qui devaient pour dîner avec eux. Ils sont arrivés en effet et nous avons continué ensemble notre jeu. Puis après goûter Hortense nous a montré sa chambre et ses petites affaires elle s’occupe à peindre un missel qui je crois sera magnifique.
Puis nous sommes partis pour Bougival à pied et tout le monde nous a accompagnés presque jusque là, nous avions l’intention de prendre le chemin de fer américain[5] mais il était plein et nous avons repris par Chatou. Il a été décidé qu’Hortense viendrait Samedi pour passer un ou deux jours ce qui nous réjouit beaucoup.
Je fais venir Emilie[6] pour lui demander son bulletin de santé et elle te fait dire qu’elle va admirablement plus dérangée et plus de coliques. Quant à moi je ne souffre plus des dents et n’ai plus qu’une enflure imperceptible qui du reste n’a jamais été considérable non plus que ce petit mal de deux jours.
Samedi nous n’avons pas été comme je te l’avais annoncé voir MmesCordier[7] et Devers[8] nous nous sommes bornées à aller faire une longue visite à tante Louise[9] où nous avons laissé Emilie tandis que j’allais avec tante chez Mlle Fidéline[10] Mlle Duquesne[11] et prendre des renseignements chez des sœurs pour placer une petite fille.
Mon père chéri quelle petite étourdie tu as pour fille. C’est bien à oncle[12] que tu dois d’avoir reçu ma lettre écrite Samedi. Je me félicitais beaucoup de l’avoir finie de bonne heure et l’emportais avec moi lorsqu’au moment de sortir oncle Alfred[13] arrive et reste quelques minutes je m’assieds et pose ma lettre sur la cheminée du salon brun où j’oublie la pauvre petite innocente. Il était déjà fort tard lorsque cette pensée me revint tout à coup. Heureusement pour moi ce cher oncle avait passé par là et l’avait aperçue et se doutant de l’étourderie de bourdon l’avait fait porter à la poste.
Je crois mon petit père chéri, que tu es au courant maintenant de nos importantes actions depuis Samedi dernier n’ayant donc plus rien du journal quotidien à te dire je vais te conter une petite aventure qui est arrivée il y a un mois à la famille Arnould et que Mathilde[14] nous a racontée Mer Vendredi.
M. Arnould [15] Mathilde Pierre[16] aussi je crois et les petits[17] partirent de Trigny à pied pour aller à St Gobain retrouver Lucy[18] qui venait d’être souffrante et Mme Arnould[19], c’était un voyage de 16 lieues[20]. Le premier jour ils en firent 7 et s’arrêtèrent le soir pour passer la nuit dans une mauvaise auberge d’un tout petit village du département de l’Aisne. C’est à grand peine qu’ils trouvent à se coucher et ils s’endorment bien fatigués. A minuit ils sont tous réveillés par un grand bruit, Mathilde entend beaucoup de voix de la chambre de son père qui est à côté de la sienne, c’étaient les gendarmes ! qui demandaient à grands cris les papiers. M. A. n’avait nullement songé à se prémunir d’un passeport pour ces deux jours. Mais mes gendarmes revenaient toujours à la charge disant : Maintenant on voyage en chemin de fer ou en voiture mais jamais à pied ce n’est pas naturel à cette époque-ci, de plus hier soir on vous a [vus] prendre des plans (Mathilde avait pris la vue du pays) ce qui est encore moins naturel, vous ne suivez pas la grand-route mais les petits chemins par les bois et par les prés, vous êtes des espions prussiens nous voulons vous arrêter. Ce ne fut qu’avec grand peine et en leur envoyant prendre des renseignements chez plusieurs de ses connaissances qui habitaient le pays que M. Arnould parvint à se débarrasser des vénérables brigadiers. C’est un peu trop de zèle n’est-il pas vrai.
Adieu, mon petit papa chéri je crains fort que cette lettre ne t’intéresse guère, du moins elle te portera toujours de nos nouvelles.
Je t’embrasse bien bien fort
ta fille qui t’aime beaucoup beaucoup.
Marie
Emilie t’embrasse bien aussi et te remercie bien de ta lettre qui lui a fait le plus grand plaisir.
Notes
- ↑ Alphonse Milne-Edwards et son épouse Aglaé Desnoyers.
- ↑ Hortense Duval.
- ↑ Claude Louis Lafisse et son épouse Constance Prévost.
- ↑ Paul Clavery, son épouse Marie Philiberte Ferron et probablement leurs enfants.
- ↑ Le tramway.
- ↑ Emilie Mertzdorff, sœur de Marie.
- ↑ Félicie Berchère épouse de Charles Cordier.
- ↑ Maria Berchère, épouse de Giuseppe Devers.
- ↑ Louise Milne-Edwards, veuve de Daniel Pavet de Courteille.
- ↑ Fidéline Vasseur.
- ↑ Mlle Duquenne ?
- ↑ Alphonse Milne-Edwards.
- ↑ Alfred Desnoyers.
- ↑ Mathilde Arnould.
- ↑ Edmond Arnould.
- ↑ Pierre Arnould.
- ↑ Probablement Edmond (fils), né en 1860, et Louis Arnould, né en 1864.
- ↑ Lucy Arnould, épouse d’Alfred Biver, directeur des Glaceries Saint-Gobain.
- ↑ Paule Baltard, épouse d’Edmond Arnould.
- ↑ La lieue a comme origine la distance que peut parcourir un homme à pied en une heure (environ 4,5 km).
Notice bibliographique
D’après l’original
Pour citer cette page
« Lundi 12 octobre 1874 (A). Lettre de Marie Mertzdorff (Paris) à son père Charles Mertzdorff (Vieux-Thann) », Une correspondance familiale (D. Poublan et C. Dauphin eds.), https://lettresfamiliales.ehess.fr/w/index.php?title=Lundi_12_octobre_1874_(A)&oldid=41419 (accédée le 12 octobre 2024).
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