Lundi 11 novembre 1918
Lettre d’Emilie Mertzdorff, épouse de Damas Froissart (Paris) à son fils Louis Froissart (mobilisé)
11 Novembre 18
Te Deum laudamus!
Le voilà donc arrivé ce jour tant attendu et si chèrement acheté ! le canon nous l'a annoncé à 11 h. Ce n'était plus la Bertha, et Paris s'est pavoisé en un instant. Ce ne sont que joyeux cortèges et chants de triomphe. Les drapeaux sont arrachés de vive force, ton papa[1] a eu ce matin bien de la peine à se procurer au Bon Marché des drapeaux alliés, ignorant d'ailleurs que j'en avais 18 français de toute taille au 7e. Nous en avons fait flotter plusieurs, mais les 18 ne sortiront ensemble que pour la paix.
Mais surtout il faut remercier Dieu, et nous en particulier qui avons été si épargnés par la guerre, nous devons être prodigues d'actions de grâces. Mais il ne faut pas oublier que nous avons encore bien besoin de l'aide de Dieu pour savoir bien profiter de la victoire, sans nous laisser griser et qu'il nous faut obtenir un gouvernement sage et juste. Il viendra, je n'en doute pas, mais quand et comment ? ce sera intéressant de le voir.
Michel[2] est parti ce matin pour Guérigny[3]. T'ai-je dit que sa situation est devenue très nette en ce qu'elle ne comporte plus d'espoir selon toute prévision. On lui a rendu les l'insigne par l'intermédiaire de M. l'Abbé[4].
Pierre[5] l'a trouvé un peu encroûté, le pauvre ; moi je crois qu'il est surtout très triste sans vouloir le faire voir et il a dû singulièrement faire effort pour se montrer aimable et gai. Il se cachait aussi un peu voulant éviter les questions et a passé ici bien des heures à lire, tandis qu'il eût aimé naguère à les employer autrement. Il n'a même pas été au patro. Il a toutefois, devant la situation nette, pris le parti de ne plus la cacher et nous a priés d'en informer les proches. Il l'a écrit au Lieutenant Lacambre pour éviter ses questions au retour. Il se préoccupe beaucoup de son avenir si incertain tandis que celui de Pierre se dessine à souhait et je crois qu'il fait, dans son for intérieur, de douloureux retours sur les années perdues !...années de préparation et de formation intellectuelle qu'il ne retrouvera plus. Pierre est parti hier soir ; les Daum ce matin non sans m'avoir chargée de t'inviter à aller à Lay ou à Nancy si tu en trouves l'occasion. Antoinette est de plus en plus gentille quand on la connaît mieux. M. Daum[6] a aussi toutes nos sympathies et je crois que c'est réciproque. Je t'embrasse tendrement, cher enfant. Je vais t'envoyer ton livre au plus vite. Merci beaucoup de ta lettre.
Emy
Notes
Notice bibliographique
D’après l’original
Pour citer cette page
« Lundi 11 novembre 1918. Lettre d’Emilie Mertzdorff, épouse de Damas Froissart (Paris) à son fils Louis Froissart (mobilisé) », Une correspondance familiale (D. Poublan et C. Dauphin eds.), https://lettresfamiliales.ehess.fr/w/index.php?title=Lundi_11_novembre_1918&oldid=53121 (accédée le 9 octobre 2024).
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