Lundi 11 décembre 1876

De Une correspondance familiale

Lettre d’Emilie Mertzdorff (Paris) à son père Charles Mertzdorff (Vieux-Thann)

original de la lettre 1876-12-11 pages 1-4.jpg original de la lettre 1876-12-11 pages 2-3.jpg


Lundi 11 Décembre 1876

Mon père chéri, nous[1] avons été bien heureuses de recevoir une lettre de toi, car quoique nous ayons de tes nouvelles par beaucoup d’autres côtés, nous désirions bien en recevoir de ta main et nous parlant plus spécialement de toi.

Que je voudrais être à Vieux-Thann demain matin pour voir seulement mais pas pour paraître parce que je serais probablement très intimidée et pourtant je voudrais bien connaître mademoiselle Marie[2] et madame Stackler[3]. Je comprends que bonne-maman[4] soit bien affairée et oncle Léon[5] doit l’être aussi pour arriver à ce que tout soit bien et même bien [  ].

Nous nous sommes beaucoup amusées hier ; tante et oncle[6] nous ont emmenées à l’Odéon où il y avait dans la journée une réunion petite fête donnée par au profit de l’œuvre des écoles ; on a joué d’abord une pièce parfaitement stupide et mal jouée c’était une pièce japonaise en vers mais elle ne disait rien et j’avoue que je n’ai pas compris trouvé d’esprit si toutefois elle en renfermait. Ensuite on a chanté le duo des Hirondelles de Mignon[7] et plusieurs autres choses fort jolies. Après, Sarah Bernhardt et Mounet-Sully ont récité la nuit de Mai d’Alfred de Musset ; j’en avais lu des passages mais je n’avais jamais remarqué combien c’était beau ; il est vrai que la diction change bien un morceau et elle a été parfaitement récitée ; mais ce qui m’a été le plus agréable de tout ce sont les pauvres Gens de Victor Hugo récités par Mounet-Sully celui qui faisait le rôle de Gérald dans la fille de Rolland, je ne sais si tu t’en souviens. Seulement le malheureux, qui n’avait pas de souffleur, s’est arrêté au beau milieu, impossible de retrouver le reste, il a fait des signes désespérés et enfin il est parti, mais on l’a fait revenir sur la scène et par bonheur une personne avait le livre, on lui a dit les deux premiers mots du vers et il ne s’est plus arrêté jusqu’à la fin. Tante était profondément émue par cet incident et elle plaignait de tout son cœur ce malheureux acteur ; mais nous pensons avec oncle que cela ne lui a pas été aussi pénible que a le croyait tante. Ensuite il y a eu beaucoup de musique piano, flûte, violoncelle & ce n’était pas fort amusant. Enfin on a joué une pièce de Scribe, la demoiselle à marier[8] pendant laquelle je n’ai pas arrêté de me tordre de rire parce que c’était vraiment trop drôle, je suis sûre qu’elle t’aurait bien amusé aussi, c’étaient tous de si bons types et il y avait des choses qui, quoique très exagérées, ne laissaient pas d’être vraies. Tu vois que nous nous sommes permis les petites folies ; il faut bien nous dédommager d’attendre si longtemps notre papa ; enfin tu as dit que tu serais ici à la fin de la semaine ; je te réponds que nous ne laisserons plus échapper cette promesse ; il faudra au moins que tu attendes restes longtemps avec nous, car sais-tu bien qu’il y a plus de 2 mois que tu es parti, cela commence à être terriblement long. Tu n’oublieras pas n’est-ce pas de nous dire dans ta prochaine lettre comment on arrangera l’appartement d’oncle Léon et où tu transporteras tous tes livres.

Nous irons aujourd’hui au cours d’anglais[9] avec tante Louise[10]. Tante n’a plus guère à ranger que le grenier et on commence à bien s’installer.

Adieu mon papa chéri, je t’embrasse comme je t’aime ainsi que bon-papa et bonne-maman[11]. Ta fille Emilie

Oncle vient de nous siffler pour nous prévenir qu’il est en bas prêt à goûter, nous allons descendre. Je tâcherai de ne pas oublier ma lettre aujourd’hui comme Lundi dernier. Les semaines passent si vite qu’il me semblait n’y a que trois jours de passés depuis que je t’ai écrit. On n’a toujours pas de bonnes nouvelles de Lucy Biver[12]. Mathilde[13] est en ce moment à Saint [ ].


Notes

  1. Emilie Mertzdorff et sa sœur de Marie.
  2. Marie Stackler.
  3. Marie Stéphanie Hertzog, veuve de Xavier Stackler.
  4. Félicité Duméril, épouse de Louis Daniel Constant Duméril.
  5. Léon Duméril.
  6. Aglaé Desnoyers et son époux Alphonse Milne-Edwards.
  7. Mignon, tragédie lyrique, musique d'Ambroise Thomas, livret de Jules Barbier et Michel Carré d'après Les Années d'apprentissage de Wilhelm Meister de Goethe, créée à l'Opéra-Comique à Paris en 1866.
  8. La demoiselle à marier, ou La première entrevue, comédie-vaudeville en un acte d’Eugène Scribe (1791-1861) et Mélesville (1787-1865).
  9. Professeur d’anglais : Céline Silvestre de Sacy, épouse de Frédéric Foussé.
  10. Louise Milne-Edwards, veuve de Daniel Pavet de Courteille.
  11. Louis Daniel Constant Duméril et son épouse Félicité Duméril.
  12. Lucy Arnould, épouse d’Alfred Biver.
  13. Mathilde Arnould.

Notice bibliographique

D’après l’original

Pour citer cette page

« Lundi 11 décembre 1876. Lettre d’Emilie Mertzdorff (Paris) à son père Charles Mertzdorff (Vieux-Thann) », Une correspondance familiale (D. Poublan et C. Dauphin eds.), https://lettresfamiliales.ehess.fr/w/index.php?title=Lundi_11_d%C3%A9cembre_1876&oldid=40210 (accédée le 18 décembre 2024).

D'autres formats de citation sont disponibles sur la page page dédiée.