Jeudi 5 décembre 1918 (A)
Lettre d’Emilie Mertzdorff, épouse de Damas Froissart (Paris) à son fils Louis Froissart (mobilisé)
5 Décembre 18
Mon cher Louis,
Décidément l’industrie du livre est bien malade ! je n’ai pu avoir que la partie Allemand-français du dictionnaire, l’autre ne sera réimprimée que dans quelques jours. L’expérience m’ayant appris que ces quelques jours peuvent être parfois de nombreux jours, je t’ai expédié ce matin avec l’allemand-français un petit dictionnaire de poche français-allemand que j’avais et qui te suffira pour converser avec les citoyens que tu rencontreras, en attendant mieux. J’y ai joint une grammaire allemande qui m’a paru simple, chose aussi rare que précieuse, et le manuel que je t’ai annoncé comme pis-aller. Je vais faire faire un examen de conscience à tes frères[1] pour savoir s’ils n’auraient pas pris ton manuel. Je me rappelle que l’un des deux m’a répondu : « Cela n’a aucune importance » quand je lui ai fait observer qu’il emportait un objet t’appartenant ; mais je ne me rappelle pas quel était l’objet.
Tu devines combien ta lettre m’a intéressée depuis l’histoire de ta patriote hôtesse jusqu’aux sentiments d’antipathie que manifestent les Alsaciens aux boches en leur disant si allègrement adieu et en passant par les rues pavoisées de Strasbourg où tu as eu l’honneur de défiler à la suite du Maréchal Pétain. Que de beaux moments pleins d’émotion tu as dû passer et tu as dû sentir mon cœur d’Alsacienne battre dans le tien. Maintenant que l’on connaît mieux l’abominable race allemande on comprend que les Alsaciens soient restés si français et aient senti l’impossibilité de s’assimiler leurs idées et leurs sentiments n’est-ce pas ? les Alsaciens, malgré leur écorce un peu rude, sont si français de nature.
Là-bas tout est à l’enthousiasme, à la joie franche du retour et exempte d’arrière-pensées. Il n’en est pas tout à fait de même dans nos contrées libérées où l’on se montre fort inquiet de l’avenir, un peu déçu de ne pas trouver par ici plus de sympathie, plus l’élan et de spontanéité. Le ravitaillement très difficile se fait mal, on souffre encore et surtout on doute que les réparations se fassent assez complètement et rapidement pour que l’industrie du Nord ne soit pas irrémédiablement concurrencée. Il y a certainement bien des questions à étudier et le Gouvernement a fort à faire pour les mener à bien.
Paul Vandame[2] est arrivé ce matin revenant de Lille où il a passé près de 3 semaines, il n’avait pas vu sa femme depuis 4 ans et avait à faire la connaissance d’une deuxième fille. Il a vu Jacques et Élise[3] qui sont arrivés à Saint-André Lundi ; Jacques allait hier à Douai avec un camion anglais et n’a pu emmener Élise. Ils reviennent Samedi. Mme Vandame[4] repasse aussi revenant de Paramé. Enfin nous verrons passer également Cécile[5] revenant de Suisse où elle a été retenue par les grippes des enfants. 1 lettre et 2 dépêches de Max[6] l’attendent ici et prouvent qu’elle doit arriver Samedi à Rang-du-Fliers.
Je t’embrasse tendrement, cher petit en te remerciant encore de tes si bonnes lettres.
Emy
Bernard de Nazelle[7] a été opéré hier de l’appendicite tandis que son père pris de la grippe est évacué vers l’intérieur. Les nouvelles ne sont pas mauvaises.
Tous les Caruel sont grippés rue de Vaugirard avec une garde pour les soigner, chez Marthe[8] Poupette[9], Cécile[10] et la femme de chambre. On a pris une autre garde qui se partage la besogne avec Marthe.
Notes
- ↑ Michel et Pierre Froissart.
- ↑ Paul Émile Vandame, époux de Marguerite Marie Verley et père de Marguerite Marie et Cécile Charlotte (née en 1915) Vandame.
- ↑ Élise Vandame (sœur de Paul Émile) et son époux Jacques Froissart.
- ↑ Zélia Vandewynckele, épouse de Paul Vandame.
- ↑ Cécile Dambricourt, épouse de Maximilien Froissart et mère de plusieurs enfants dont Jean Paul Maximilien Marie Cornil et André.
- ↑ Maximilien Froissart.
- ↑ Bernard du Cauzé de Nazelle (12 ans), fils de René.
- ↑ Marthe Pavet de Courteille, veuve de Jean Dumas.
- ↑ Jeanne Dumas ?
- ↑ Cécile Dumas.
Notice bibliographique
D’après l’original
Pour citer cette page
« Jeudi 5 décembre 1918 (A). Lettre d’Emilie Mertzdorff, épouse de Damas Froissart (Paris) à son fils Louis Froissart (mobilisé) », Une correspondance familiale (D. Poublan et C. Dauphin eds.), https://lettresfamiliales.ehess.fr/w/index.php?title=Jeudi_5_d%C3%A9cembre_1918_(A)&oldid=52657 (accédée le 22 décembre 2024).
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