Jeudi 3 novembre 1842
Lettre de Félicité Duméril (Paris) à sa sœur Eugénie (Lille)
de Mme Félicité Duméril.
Paris 3 Novembre 1842.
Ma chère et bonne petite Eugénie,
En lisant ta dernière lettre, j’étais triste de ce que tu me disais, et je ne comprenais rien à l’état de ta santé : le soir, j’ai communiqué ta lettre à Constant et à Auguste[2], qui m’ont assez vite rassurée, en me faisant entendre que c’étaient les nouvelles agitations de notre pauvre mère[3] qui donnaient à nos tantes[4] de l’inquiétude et la crainte que ta santé ne finît par se ressentir beaucoup de l’état si triste où se trouve maman : ces messieurs sont convaincus comme moi que ce que tu m’écris est l’expression de l’exacte vérité : tu nous l’as promise et nous comptons sur ta parole, et puisque tu me dis positivement que tu te portes bien, nous ajoutons foi entière à tes paroles : tu dois constamment te rappeler, bonne amie, que c’est un devoir pour toi de nous faire connaître les choses telles qu’elles sont : étant bien pénétrés de cette pensée, nous te promettons de ne nous laisser jamais aller au-delà de ce que tu nous écris, et cela doit de nouveau te faire sentir qu’il est de ton devoir de nous informer de tout ce que tu éprouves et de nous mettre au courant des moindres choses qui te sont relatives : c’est avec bonheur et confiance que je t’écris, ma chère petite sœur, puisque notre bon père[5] m’en a donné la permission : cependant ayant écrit, il y a une dizaine de jours, à notre chère Eléonore, je n’ai pas osé lui adresser cette lettre trop vite, dans la crainte que cela ne fît jaser. Julie[6] part demain pour Lille, mais Constant trouve, comme moi, que les lettres que je t’écris ne doivent être confiées qu’à la poste. J’aime à penser que notre bon père se porte bien, et que maman a retrouvé de la tranquillité d’esprit. Ne tarde pas à m’écrire, je t’en prie : mets-toi à notre place, et tu comprendras parfaitement le désir que nous avons de recevoir tes lettres, qui donnent une idée si parfaite de la justesse de ton esprit : tout ce que tu as dit à Séraphine partait d’un bon jugement, et du désir qu’éprouve une maîtresse de voir ses domestiques heureux et se bien conduire : certainement il y a une certaine responsabilité à prendre une jeune fille qui, par de mauvais conseils, peut quelquefois tomber dans le mal, mais je te dirai que, dans ce moment, ma bonne tante[7] a deux femmes qui me plaisent bien : elles sont très douces, et ont un air honnête.
D’après ce que j’ai écrit à nos parents, tu connais les nouveaux arrangements qui ont été pris chez ma tante, qui fera de grandes recherches pour trouver un domestique qui ait de bons sentiments : cependant je sens qu’il est toujours fâcheux que, dans une cuisine, il y ait hommes et femmes ; mais comme on ne peut rien à cela, et que la maison de nos parents l’exige, il faut tâcher de ne pas se tourmenter à cet égard : dis bien à Séraphine qu’elle doit avoir entière confiance en toi, et que, puisqu’elle a pour toi un véritable attachement, elle le montrera dans la manière de se conduire, en observant exactement les conseils que tu lui donneras : je suis contente de penser que cette jeune fille, qui t’est fort attachée, viendra à Paris, et j’aime à croire qu’à cause de cet attachement, tu sauras la diriger comme tu le voudras.
Plus j’examine Auguste, ma bonne Eugénie, plus je me dis que ton choix est excellent. Auguste ressemble à Constant sous bien des rapports, et, lorsque je nomme Constant, je donne l’idée du plus tendre et du meilleur des maris. Le sacrement qui unit l’homme à la femme répand tant de douceur et tant de charmes dans la vie ! Je parle ici de deux êtres qui se comprennent, qui s’aiment, et qui n’ont qu’un but, c’est de se faire plaisir l’un à l’autre. Eh bien, chère amie, tu pourras connaître par toi-même le bonheur si parfait que le ciel et mes parents m’ont donné : auprès d’un mari que l’on aime de toutes ses forces, tout devient doux et facile à remplir dans la vie : ce qu’on éprouve pour lui élève l’âme et rend plus vif encore l’amour que l’on porte à ses parents, ainsi que le sentiment de l’amitié. Tu sais, ma bonne Eugénie, à quel point j’étais agitée et ébranlée au mois de Juillet dernier : ce rire, qui me prenait dans les moments les plus tristes, doit donner l’idée de l’état dans lequel j’étais. Eh bien, lorsque je me suis retrouvée avec mon excellent mari, peu à peu, le calme est revenu en moi : en l’écoutant, j’oubliais la vive secousse que j’avais éprouvée : je me sentais si heureuse de l’avoir retrouvé, d’être auprès de lui, et de suivre ses conseils ! que de fois, bonne amie, j’ai songé aux paroles si tendres que m’a adressées notre grand-maman[8], qui, avant de mourir me dit : « Félicité, sois aussi heureuse que mon cœur le désire! » Ces paroles ont été exaucées par Dieu : il permettra que jamais je ne sois séparée de l’être que j’aime tant : tous les deux, nous reposerons ensemble, et dans le même temps. Ce Dieu si bon bénira aussi ton mariage, ma chère Eugénie, et tes enfants ajouteront encore à ton bonheur et à celui de ton mari : tu ne pouvais pas être plus aimée que tu ne l’es : tout ce qui a rapport à toi donne à Auguste de la jouissance, qui se montre dans toute sa physionomie : il sera bien heureux le jour où il obtiendra une seconde place, et il travaille avec ardeur pour tâcher de ne pas tarder à l’obtenir.
Adieu, mon excellente Eugénie : soigne bien ta santé et écris-moi bientôt, je t’en prie ; fais mes tendres amitiés à cette bonne Eléonore, et reçois pour toi l’expression du sentiment si tendre que je t’ai voué.
F. Duméril.
Notes
- ↑ Eléonore Vasseur, fille de Angélique Cumont et de Léonard Vasseur, cousine qui sert d’intermédiaire.
- ↑ Louis Daniel Constant Duméril, époux de Félicité, et Auguste Duméril, fiancé d’Eugénie.
- ↑ Alexandrine Cumont..
- ↑ Deux sœurs et une belle-sœur d’Alexandrine Cumont habitent Lille : Césarine Cumont, épouse de Guillaume Declercq, Fidéline Cumont, épouse de Théophile (Charles) Vasseur et Esther Le Lièvre.
- ↑ Auguste Duméril l’aîné.
- ↑ Julie Sophie Gautier, épouse de François Marie Delessert.
- ↑ Alphonsine Delaroche, épouse d’André Marie Constant Duméril, tante et belle-mère de Félicité.
- ↑ Probablement Rosalie Duval (épouse de jean Charles François Duméril), mère d’Auguste et d’André Marie Constant Duméril et décédée en 1829. Il est moins probable que Félicité, née en 1810 se souvienne d’Anne Thérèse Dorothée Vatblé (épouse de Jean Baptiste Cumont), mère d’Alexandrine Cumont et décédée en 1819.
Notice bibliographique
D’après le livre de copies : lettres de Monsieur Auguste Duméril, 1er volume, « Lettres relatives à notre mariage », p. 206-211
Pour citer cette page
« Jeudi 3 novembre 1842. Lettre de Félicité Duméril (Paris) à sa sœur Eugénie (Lille) », Une correspondance familiale (D. Poublan et C. Dauphin eds.), https://lettresfamiliales.ehess.fr/w/index.php?title=Jeudi_3_novembre_1842&oldid=40069 (accédée le 18 décembre 2024).
D'autres formats de citation sont disponibles sur la page page dédiée.