Jeudi 30 octobre 1879
Lettre de Marie Mertzdorff (Paris) à son père Charles Mertzdorff (Vieux-Thann)
Paris 30 Octobre 1879
J’ai vraiment du guignon mon cher Papa, je vais te raconter mes malheurs ; hier, tu le sais, j’attendais M. Empis[1], j’allais à merveille, oncle[2] m’avait permis de faire quelques petites courses modérées dans l’appartement et il me semblait que mon médecin allait me donner toutes les permissions possibles, j’attendais donc, mais l’après-midi se passe et personne ne paraît, l’heure du dîner arrive, pas de M. Empis, c’était encore une affaire remise d’un jour mais au moins (pour voir le bon côté des choses) il me trouvera mieux ; je me couche, enchantée de moi ou, plutôt de mon genou qui marchait et qui se pliait comme l’autre et qui ne me faisait pas le plus petit mal dans quelque position que ce soit ; j’avais même [l’intention] démesurée de rendre à cette pauvre jambe une partie de la liberté dont elle jouissait autrefois ; funeste désir qui me poursuit pendant mon sommeil et que je ne suis plus hélas ! en état de modérer, je me couche sur mon côté gauche, mon côté favori, je plie mes genoux comme j’aimais tant à le faire étant petite et je dors ainsi pelotonnée ; cela allait encore (aussi tu vois que pour une malade c’était bien gentil) lorsque sans doute emportée par l’ardeur de mes rêves, je décoche subitement cette infortunée à l’autre extrémité de mon lit, elle avait à supporter tout le poids de sa compagne et cet effort brusque ne lui a pas plu du tout ; elle s’est mise à crier de nouveau et m’a réveillée en sursaut ; juge de mon désappointement ! il a fallu lui rendre ce matin tous les soins avec lesquels elle veut qu’on la traite et adieu pour aujourd’hui aux châteaux en Espagne de dîner à table ! Pour comble de malheur M. Empis arrive à 9h 1/2 ! il me trouve beaucoup mieux, constate que le crépitement a disparu mais je suis bien forcée de lui raconter mes prouesses nocturnes et il me défend de bouger jusqu’à ce que de nouveau toute douleur ait disparu. Heureusement je crois que ce n’était qu’une fausse alerte pour calmer un peu ma trop grande envie de mouvement, je vais déjà bien et c’est à peine si je me ressens encore de ce petit accident. Demain je pense circuler en haut et Samedi si tout marche bien je descendrai à la salle à manger moi qui me promettais tant d’aller à la messe le jour de la Toussaint !
Du reste je continue à me porter à merveille et je dévore.
Voilà j’espère, mon Père chéri, trois pages bien remplies de moi et qui ne te diront pas grand’chose. Que j’aimerais donc avoir aussi des nouvelles de toi ; j’y pense si souvent ! Sais-tu petit Père que nous voilà bientôt au 1er Novembre, il ne fait pas froid et si tu ne veux pas écrire je vais te donner un moyen excellent de communiquer avec nous ; prends le chemin de fer et arrive nous faire une petite visite ; que ce serait gentil ! Tu sais que tu l’as à peu près promis.
Oncle est allé aujourd’hui passer la journée à Fleury-Mérogis au château de M. Grandidier[3] ; ce soir ce sera le dîner de famille remis maintenant au Jeudi à cause de Marthe[4].
On a de bonnes nouvelles de Launay. bon-papa et bonne-maman[5] reviennent Lundi.
Adieu, mon Père bien-aimé, je t’embrasse de toutes mes forces.
ta fille Marie
J’embrasse bien bon-papa et bonne-maman[6] ; voilà bien des jours que je veux leur écrire mais ma vie est si uniforme en ce moment qu’elle ne me fournit guère matière de lettres.
Je te quitte pour goûter et manger une bonne poire de Vieux-Thann.
Notes
- ↑ Le docteur Georges Simonis Empis.
- ↑ Alphonse Milne-Edwards.
- ↑ Ernest Grandidier.
- ↑ Marthe Pavet de Courteille.
- ↑ Jules Desnoyers et son épouse Jeanne Target.
- ↑ Louis Daniel Constant Duméril et son épouse Félicité Duméril.
Notice bibliographique
D’après l’original
Pour citer cette page
« Jeudi 30 octobre 1879. Lettre de Marie Mertzdorff (Paris) à son père Charles Mertzdorff (Vieux-Thann) », Une correspondance familiale (D. Poublan et C. Dauphin eds.), https://lettresfamiliales.ehess.fr/w/index.php?title=Jeudi_30_octobre_1879&oldid=40088 (accédée le 18 décembre 2024).
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