Jeudi 2 juillet 1818
Lettre d’Alphonsine Delaroche – avec un ajout de son mari - (Paris) à sa belle-mère Rosalie Duval (Amiens)
n° 245
Paris 2 Juillet 1818
M. Démery est venu nous annoncer son départ pour demain et je ne veux pas le laisser retourner à Amiens sans lui remettre quelques lignes pour vous, ma très chère maman ; je trouve qu’il y a bien longtemps que je ne me suis entretenue avec vous, et pourtant j’en sens le besoin, mais comme vous savez je sais peu trouver le temps d’écrire ; De plus je n’ai pas été bien portante du tout depuis quelques semaines, pourtant je mène à peu près ma vie ordinaire ; mais je souffre et les chaleurs m’ont aussi beaucoup fatiguée ; heureusement qu’elles n’ont pas eu sur notre cher petit Auguste le mauvais effet jusqu’à présent qu’elles ont eu presque tous les Etés ; C’est toujours dans cette saison qu’il a eu toutes ses maladies, mais sa santé parait réellement très fortifiée, et il s’est beaucoup développé moralement et physiquement. Sa petite tête commence à travailler et l’on voit qu’il réfléchit. Il a grandi passablement et non seulement il ne se dandine plus en marchant mais son pas est devenu très ferme et il court très vite. Je crois avoir raconté à ma belle-sœur[1] dans ma dernière lettre qu’il n’était point obéissant, et que j’étais obligée de mettre un peu de fermeté ; J’ai le plaisir de vous apprendre que depuis ce moment-là il s’est fait en lui un changement très favorable, il parait qu’il a senti qu’il ne ferait qu’y gagner à obéir à ses parents. Quant au bon Constant[2] (car il est essentiellement bon et doux) il se développe aussi beaucoup de toutes manières, et son nouveau genre de vie le rend extrêmement heureux. Ce mélange bien entendu et bien proportionné, d’occupations, d’exercice presque toujours instructif et de recréation, était tout à fait ce qu’il lui fallait, et nous le voyons rentrer tous les soirs gai et content de sa journée. Depuis ces chaleurs il prend presque tous les jours des bains à la rivière et son maître lui apprend à nager, ce qui l’amuse beaucoup. Il parait qu’en général on est content de lui et qu’il annonce de la facilité pour apprendre. La langue vivante dont on l’occupe le plus maintenant c’est l’allemand qu’il prononcera à ce qu’il paraît avec assez de facilité.
En voilà bien long sur ces deux garçons mais je me suis d’autant plus volontiers laissée aller au plaisir de m’étendre sur ce sujet que je sais bien que les bonnes mamans trouvent difficilement qu’on leur en dise trop sur leurs petits-enfants. Nous n’avions pas su que le petit de mon beau-frère Auguste eût été encore malade ; leur Auguste[3] leur donne, comme le nôtre nous en a donné, des soucis bien prolongés. Quant au nôtre nous avons acquis un peu de tranquillité d’esprit parce que voilà 8 à 9 mois que sa santé se soutient bonne, mais nous ne pouvons pas encore avoir sur lui cette sécurité que l’on a sur un enfant bien portant. Je voudrais bien que notre frère Auguste lorsqu’il sera à Amiens se décidât à venir jusques à Paris nous faire une petite visite, ce serait bien aimable à lui. Veuillez je vous en prie ma chère Maman tâcher de le décider à cela et lui témoigner tout le plaisir qu’il nous ferait.
Je crois bien que vous aurez la visite de votre fils Constant[4] dans le courant d’Octobre ; en donnant sa démission pour les jurys de médecine il a demandé à conserver celui d’Amiens pour cette année afin d’avoir le plaisir de vous faire une petite visite. Il est terriblement tiraillé par ses occupations, mais une chose qui lui fait grand plaisir, et à nous tous par suite, c’est qu’il vient d’être nommé à une autre chaire à l’Ecole de Médecine ; il remplissait depuis 20 ans 18 ans celle d’anatomie, et il commençait à être très fatigué de professer depuis si longtemps sur le même sujet. M. Bourdier étant très maladif vient d’être nommé à une chaire qui ne donne pas d’occupation et la sienne à été donnée à mon mari, qui aura le plaisir de faire un cours qui n’avait pas été bien fait depuis plusieurs années, qui se fait au commencement de la belle saison, et qui est beaucoup moins long que celui d'anatomie. Au reste ce printemps il a fait ce cours avant qu’il sût qu’il obtiendrait aussi promptement cette chaire de médecine ; comme c’était des choses nouvelles pour lui il a fallu qu’il travaillât beaucoup pour le bien faire, mais ses peines ont été couronnées du plus grand succès, il avait tous les jours à ses leçons mille à douze cents personnes. La chaire d’anatomie étant vacante il va s’ouvrir des concours où l’on verra plusieurs jeunes gens extrêmement instruits et où brilleront sûrement nos amis les MM. Cloquet.
Je ne vous ai point encore parlé de votre santé ma très chère maman, et cependant je vous assure que je prends une part vient vive à ce que vous éprouvez de malaise ; et souvent de douleurs, par l’enflure des jambes, et l’impossibilité où elle vous met de marcher un peu. Nous avons appris avec bien du plaisir que vous avez cependant pris un peu plus de sommeil depuis quelque temps ; je voudrais bien que vous vous sentissiez la faculté d’essayer de descendre de votre chambre, ce peu de mouvement vous ferait je suis sûre un grand bien.
Votre petite-fille Clémentine[5] doit vous manquer, il est fâcheux que Rosalie[6] ne sache pas, par ses attentions et ses soins, vous distraire de son départ. Nous espérons que notre cher Papa[7] continue à être content de sa santé. Il me saura gré je pense de lui donner des nouvelles de notre charmante amie Mlle de Carondelet, qui a mis un très grand prix à avoir un exemplaire de la lithographie de son portrait, elle apprend toujours de ses nouvelles avec le plus grand intérêt, et si elle était là elle me chargerait sûrement de tous ses respects pour lui. Veuillez je vous prie lui présenter les nôtres et l’expression de notre tendre attachement. Veuillez aussi faire mille amitiés de notre part à ma sœur[8] ; Je la remercie beaucoup de sa dernière et aimable lettre ; Je tâcherai de ne pas trop tarder à lui répondre.
Il parait que Montfleury[9] ne vous écrit pas souvent ; il n’est pas abondant non plus en visites, mais il se porte très bien, et il devient fort joli garçon. Il est très bon et assez attentif, je ne peux pas vous dire comme il est complaisant et doux avec ses cousins.
Il est temps de finir, je crains de vous fatiguer beaucoup avec tant d’écriture. Nous vous embrassons avec cette tendresse filiale que vous nous connaissez bien j’espère, et vous présentons ma chère maman notre respectueux dévouement.
A. Duméril
Toutes nos amitiés je vous prie à notre frère Désarbret[10].
Maman et ma Tante[11] qui ont été très sensibles à votre souvenir, me chargent de vous le témoigner et de vous présenter mille choses aimables de leur part.
Je viens de lire la lettre de ma femme. je me joins d’intention à tout ce qu’elle vous dit de tendre et d’amical et je vous expliquerai la cause de ses malaises qui tiennent bien probablement à une grossesse qu’elle n’ose avouer'[12].
Notes
- ↑ Reine Duméril.
- ↑ Louis Daniel Constant Duméril.
- ↑ Charles Auguste Duméril, né en 1812, fils d’Auguste (l’aîné).
- ↑ André Marie Constant Duméril.
- ↑ Clémentine Duméril, fille de Florimond dit Montfleury (l’aîné), née en 1801.
- ↑ Probablement Rosalie Testu, autre petite-fille, née en 1799 (fille de Rosalie Duméril).
- ↑ François Jean Charles Duméril.
- ↑ Sa belle-sœur Reine Duméril.
- ↑ Montfleury le jeune, fils aîné de Florimond Duméril dit Montfleury, l’aîné.
- ↑ Joseph Marie Fidèle dit Désarbret, frère d’AMC Duméril.
- ↑ Marie Castanet (veuve de Daniel Delaroche) et sa sœur Elisabeth Castanet.
- ↑ Gustave Duméril naîtra le 2 février 1819.
Notice bibliographique
D’après l’original (il existe également une copie dans le livre des Lettres de Monsieur Constant Duméril, 3ème volume, p. 163-169)
Annexe
A Madame
Madame Duméril
À Amiens
Pour citer cette page
« Jeudi 2 juillet 1818. Lettre d’Alphonsine Delaroche – avec un ajout de son mari - (Paris) à sa belle-mère Rosalie Duval (Amiens) », Une correspondance familiale (D. Poublan et C. Dauphin eds.), https://lettresfamiliales.ehess.fr/w/index.php?title=Jeudi_2_juillet_1818&oldid=39933 (accédée le 23 décembre 2024).
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