Jeudi 27 octobre1898

De Une correspondance familiale





Lettre d’Émilie Mertzdorff, épouse de Damas Froissart (Douai), à sa sœur Marie Mertzdorff, épouse de Marcel de Fréville (Paris)


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Jeudi 27[1]

Ma chère Marie,

Il faut donc encore attendre 10 jours avant d'avoir le résultat de l'examen, c'est bien long! du moins, cette fois, vous avez tout [ ] d'espérer en la réussite.

Un mot de Maria[2] m'a appris la mort de M. Berger[3] mais, moins aimable que toi, je n'ai pu écrire qu'à Hélène[4] hier soir en rentrant de Campagne.

J'ai eu aujourd'hui la visite de Mme Parenty des tabacs[5] qui a passé ici toute la journée; elle est en ce moment à Arras chez sa belle-sœur[6] et viendra dans une quinzaine passer quelques jours chez nous avec ses 2 filles aînées[7], avant de retourner à Riom.

Ce que tu me dis d'oncle[8] me fait bien plaisir, je suis contente que tu ne l'aies pas trouvé affaissé. Cette chute m'a beaucoup tourmentée. J'avais bien envie d'aller le voir mais maintenant j'attendrai le départ de Marthe[9] pour aller dire adieu à ces chers colons. Je suis ravie d'avoir pu passer quelques heures avec ma belle-mère[10]. Ma visite lui a fait tant de plaisir, cette pauvre mère n'a cessé de me remercier tout le temps. Tous ces bruits de guerre[11] la tourmentent et elle était contente de pouvoir en causer avec moi et de savoir que nous ne croyions pas du tout à la guerre. Je l'ai emmenée à Brunehautpré où j'avais quelques oublis à réparer. J'espère que Damas[12] pourra aller la voir la semaine prochaine.

Tu me dis que Charles[13] est fatigué de sa retraite, Jacques[14] l'a été un peu aussi, je crois que ces sermons multipliés leur tendent beaucoup l'esprit. Aujourd'hui le pauvre garçon avait mal à la tête, mais je ne l'attribue pas à la retraite qui a pris fin Dimanche. Je lui ai cependant fait prendre son bain salé et tous les exercices du Jeudi, équitation et gymnastique. Il m'a causé pendant ce bain une émotion dont je tremble encore. Après l'y avoir installé, m'être assurée de la température de l'eau, de l'aération de la salle etc. je l'ai laissé pour retourner auprès de Mme Parenty qui se disposait à partir. Au bout d'1/4 d'heure après le départ de Mme P. je retourne dans la salle de bain qui était plongée dans une demi obscurité, j'entre en parlant et Jacques ne me répond pas: je me précipite vers la baignoire et je le vois complètement couché dans l'eau, la tête renversée en arrière, sans que le demi jour me permette de voir ses couleurs, je l'ai cru noyé ! Je le saisis en poussant un cri affreux, je le lève tout droit dans la baignoire en l'appelant et lui qui ne comprenait rien à toute cette scène me regardait d'un air effaré ; enfin il m'a rendu la vie en me disant : Mais maman, qu'est-ce que vous avez ? Il ne m'avait pas entendue parce qu'il s'amusait à tremper sa tête dans l'eau et à faire clapoter l'eau dans ses oreilles. Mon saisissement avait été tel que j'ai cru que j'allais me trouver mal : je me suis laissée tomber sur une marche du petit escalier qui conduit au grenier, tremblant, pleurant, ne sachant plus ce que je disais et j'en ai tremblé pendant plus de 10 minutes. Est-ce assez bête ?

Je suis encore hantée par cette vision d'enfant noyé et cette commotion que j'ai sentie au cœur. Mais tranquillise-toi j'ai ensuite baigné [ ] avec beaucoup de calme j'ai mené ma bande à la leçon de gymnastique, et j'ai très bien dîné. Mais je ne laisserai plus un enfant seul dans son bain !

Ma bonne allemande m'est annoncée pour Samedi. Qui vais-je voir arriver ? j'ai un peu peur d'avoir une surprise désagréable.

Nous admirons beaucoup ton bon Robert[15]. Tu es bien heureuse d'avoir un fils si raisonnable. Adieu ma Chérie, je t'embrasse de toutes mes forces.

Mille amitiés à tous

Emy


Notes

  1. Lettre non datée, à situer juste après la mort de Louis Berger, le 23 octobre 1898.
  2. Maria Lomüller, épouse de Georges Duméril.
  3. Louis Berger.
  4. Hélène Berger, épouse de d’Émile Poinsot.
  5. Marie Clémentine Rose de Santi, épouse d'Henry Parenty.
  6. Probablement Charlotte Courtois, épouse d'Auguste Parenty.
  7. Probablement Marie Thérèse et Aimée Louise Suzanne Parenty.
  8. Alphonse Milne-Edwards.
  9. Marthe Pavet de Courteille, épouse de Jean Dumas. Le couple vit en Tunisie avec ses cinq enfants.
  10. Aurélie Parenty, veuve de Joseph Damas Froissart.
  11. En septembre 1898, français et britannique se heurtent à Fachoda, au Soudan.
  12. Damas Froissart.
  13. Charles de Fréville.
  14. Jacques Froissart, 14 ans.
  15. Robert de Fréville, 16 ans.

Notice bibliographique

D’après l’original.


Pour citer cette page

« Jeudi 27 octobre1898. Lettre d’Émilie Mertzdorff, épouse de Damas Froissart (Douai), à sa sœur Marie Mertzdorff, épouse de Marcel de Fréville (Paris) », Une correspondance familiale (D. Poublan et C. Dauphin eds.), https://lettresfamiliales.ehess.fr/w/index.php?title=Jeudi_27_octobre1898&oldid=54142 (accédée le 19 avril 2024).

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