Jeudi 26 janvier 1843
Lettre d’Auguste Duméril l’aîné, avec un ajout de son fils Charles Auguste (Arras), à sa fille Félicité (Paris)
d’Auguste Duméril père.
Arras le 26 Janvier 1843.
Ma chère Félicité,
Il y a longtemps, en effet, que j’ai le désir de m’entretenir avec toi. Tu n’as jamais attribué mon silence, j’espère, à de l’indifférence : mes sentiments de tendresse pour toi, pour ton mari, pour tes enfants[1], seront toujours aussi invariables que l’excellent caractère que j’ai toujours chéri, à tous les âges de ta vie. Ce silence tient à une infinité de causes, dont tu connais l’origine, et plus encore, à l’excessive faiblesse d’une vue qui se perd de plus en plus, et me prive souvent de pouvoir, par moi-même, prendre communication des lettres qui, par leurs auteurs, et les circonstances, m’intéressent le plus.
Je suis tout à fait décidé à réaliser notre projet[2], aussitôt que possible : ta maman le sait. Je le lui ai dit maintes fois. Je ne tiens plus à ce qu’Auguste ait obtenu un avenir de place et d’aisance, que, dans le principe, non pour moi, mais par concessions, j’avais paru exiger, car j’ai toujours mis les enfants de mon frère[3] sur la même ligne que les miens, et si j’ai désiré quelque fortune, c’est pour vous, comme pour eux et pour les vôtres. Je m’attends encore à de l’obstination : il faut cependant savoir prendre à parti. Je suis on ne peut plus satisfait de la conduite d’Auguste, de sa conduite, de sa modération. Dis-lui bien que je l’en félicite de tout cœur : il a tout le sang-froid de son frère, et je ne l’en aime que davantage.
Dis à Caroline que nous avons été très flattés, sa bonne-maman et moi, de la jolie lettre qu’elle nous a adressée, le jour de l’an ; que nous avons admiré l’ordre de son écriture, le sentiment qu’elle exprime et particulièrement sa bonne amitié pour Léon. Dis-lui que je l’en remercie de tout mon cœur, et que je suis bien flatté aussi de la satisfaction que te donne son caractère, que je sais être beaucoup plus souple qu’il ne l’était autrefois. Léon, dont je confonds le nom avec celui d’Edmond, et de Raoul, est sans doute toujours gentil de figure, de vivacité et de caractère : je m’en rapporte bien à toi, pour les soins que sa situation exige ; mais je désirerais savoir s’il commence enfin à parler plus distinctement : tu m’obligeras de me tenir constamment au courant de ses progrès à cet égard, toutes les fois que tu m’écriras. Ton frère[4] désire aussi sincèrement que nous le mariage d’Eugénie : il a toujours eu, pour son cousin Auguste, dont d’ailleurs il a eu tant à se louer, l’affection d’un bon frère, et il n’a pas dépendu de lui, de faire revenir ta maman à des sentiments de modération, qui tiennent à sa situation comme à son sexe. Adine est parfaitement bien : elle jouit de la belle santé de sa fille et d’un mari, dont elle aime véritablement toute la famille. Eugénie s’entend parfaitement avec elle.
Ma chère amie, il est vrai que ma tante Dequevauvillers[5] a laissé à Rosalie Testu[6], outre un demi journal de terre, une rente de 25 F, que je suis même chargé de desservir chaque année. D’après la conduite qu’a tenue, à mon égard, cette malheureuse parente, je n’ai pas voulu continuer des relations avec elle, ni directement, ni indirectement, par les personnes qui m’intéressent le plus particulièrement à Paris, et je lui ai fait savoir qu’en faisant recevoir les redevances de quelques morceaux de terre, que mes tantes lui avaient laissés à Oisemont, par M. Ledieu, qui avait bien voulu s’en charger, elle pourrait faire toucher chez M. Bellard, chaque année, les 25 F, que je lui devais. M. Bellard ne m’a pas encore envoyé son compte définitif de l’année dernière, mais je sais que, par chacun des comptes des années antérieures, il a porté en dépense cette somme de 25 F : à mon retour à Lille, je vérifierai de nouveau ces comptes : j’en écrirai même à M. Bellard, et si, en effet, il avait négligé de payer une année ou deux, je te prierais de faire acquitter pour moi cette dette sacrée, à Rosalie : quant aux 500 F, qui forment le capital de la rente, je suis tout disposé à le rembourser, à la volonté de ta cousine, mais comme je n’ai pas eu à me louer de son équité, je prierai Auguste ou Constant[7], ou telle personne qu’elle désignera, de faire constater ce remboursement par un acte notarié.
Je n’écrirai pas à Constant aujourd’hui : je suis fatigué, je crains même que vous ne puissiez pas lire mon écriture. Auguste, sa femme et Eugénie se joignent à moi, pour vous embrasser tous, autant et si tendrement que nous vous aimons. Je te prie de me faire passer la note des dépenses que tu as dû faire, pour l’accident arrivé à Rosalie, et tu m’obligeras également de me faire connaître le chiffre des dépenses que tu as pu faire pour mon compte, depuis mon dernier voyage à Paris.
Adieu, ma bonne amie, adieu mon cher Constant : je vous embrasse, de nouveau, et du meilleur de mon cœur.
de M. C. Auguste Duméril fils.
Je te prie, ma chère Félicité, d’inviter de ma part Constant à retenir sur le montant des premiers fonds qu’il aura à m’envoyer, la dépense qui a été faite pour la réparation de lampes, dont il a bien voulu se charger ; je désirerais aussi qu’il retînt, sur ces fonds, le prix de trois remontages de bottes, que je dois à Berger[8] ; tu prierais Auguste qui a le même bottier, de vouloir bien payer cette somme, dont il prendrait quittance. Excuse-moi de te parler de ces petites affaires d’intérêt : je me proposais d’en écrire à Auguste, mais j’ai fermé une lettre que je lui ai écrite, sans y penser. Reçois, ainsi que tes enfants, l’expression de ma bien tendre amitié.
Notes
- ↑ Félicité est marié à Louis Daniel Constant Duméril ; ils ont deux enfants : Caroline (née en 1836) et Léon (né en 1840).
- ↑ Le mariage d’Auguste Duméril avec Eugénie, la sœur de Félicité, projet auquel Alexandrine Cumont résiste.
- ↑ André Marie Constant Duméril.
- ↑ Charles Auguste Duméril (dit Auguste), marié à Alexandrine (dite Adine) Brémontier ; leur fille Clotilde est née en 1842.
- ↑ Geneviève Duval, épouse d’Antoine de Quevauvillers, procureur à Oisemont.
- ↑ Rosalie, sœur d’Auguste l’aîné et d’André Marie Constant Duméril, épouse d’Augustin Testu.
- ↑ Louis Daniel Constant Duméril.
- ↑ Berger est bottier, 212 rue Saint-Martin (d’après l’Annuaire général du commerce, de l’industrie et de l’agriculture).
Notice bibliographique
D’après le livre de copies : lettres de Monsieur Auguste Duméril, 1er volume, p. 331-336
Pour citer cette page
« Jeudi 26 janvier 1843. Lettre d’Auguste Duméril l’aîné, avec un ajout de son fils Charles Auguste (Arras), à sa fille Félicité (Paris) », Une correspondance familiale (D. Poublan et C. Dauphin eds.), https://lettresfamiliales.ehess.fr/w/index.php?title=Jeudi_26_janvier_1843&oldid=58937 (accédée le 22 décembre 2024).
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