Jeudi 25 avril 1878
Lettre de Paule Arnould (Saint-Gobain) à son amie Marie Mertzdorff (Paris) avec un ajout de sa mère Paule Baltard (épouse d’Edmond Arnould)
Saint-Gobain. 25 Avril 1878
Ma chère Marie,
Ce n’est qu’après nous être emparées de votre envoi et l’avoir conduit à bon port que je viens vous en remercier, il a pourtant grossi d’une manière très avantageuse du paquet de lots que nous apportions ici. Il y a déjà bien longtemps que nous nous sommes vues, mes Amies chéries, et pour combien de temps est-ce encore ?
Nous avons été très occupés toute cette dernière semaine, c’est ce qui me déroute encore plus, car notre vie était toute changée. Enfin nous sommes parties Mardi, Mathilde[1] et moi ; Edmond et Louis[2] qui ont parfaitement exécuté leur voyage en vélocipède sont arrivés hier à bon port, ils ont fait en moyenne 11 lieues[3] par jour, sans fatigue, lorsqu’ils n’étaient pas sur les routes pavées ce qui ne leur est que trop arrivé.
Malheureusement nous ne savons pas si nous pourrons être tous réunis ici ; Père[4] est retenu au Vivier[5] pour quelques jours encore, ce qui nous ennuie beaucoup. Nos gentilles petites nièces[6] font notre bonheur, mais nous avons été quelque temps avant de les reconnaître, Edmond, Louis, Marcel[7] et moi. Marguerite surtout est très changée, ce n’est plus du tout un bébé, mais une petite fille intelligente et dégourdie. Elle a un fort accent picard avec une voix d’oiseau ; elle est très drôle avec « oncle Marcel » ; quand elle commence sa phrase par « oncle » elle y joint le « vous » si drôle, mais si elle parle au compagnon de jeu, c’est ordinairement le « tu » qui arrive ; elle a pour tante Mathilde un véritable amour que Mathilde lui rend largement et qui la rend je crois bien heureuse. Jeanne est encore un gros bébé, assez timide, parlant peu, mangeant et marchant bien, comprenant très bien, souriante et assez affectueuse pour un bébé qui ne dit presque rien. Elles sont déjà quelque chose l’une pour l’autre et ce matin l’une avait marché avec moi plus vite que l’autre qui était avec Mathilde, au même moment elles demandaient : « Où donc est Jeanne ? » « Sœur ? » Quel bonheur si ces chères petites sœurs peuvent un jour s’appuyer l’une sur l’autre ; puisqu’elles n’ont plus leur mère[8] et que nous ne pouvons leur donner l’af constamment l’affection et les soins que nous voudrions leur prodiguer, qu’elles sentent au moins le bonheur de l’amitié d’une sœur.
La nature est très avancée, c’est un point charmant pour la variété des effets, il y a les arbres en fleur, les merisiers et les aubépines dans les bois, les pommiers sur les routes et dans les champs, et ils sont ici en grand nombre ; beaucoup d’arbres sont déjà tout feuillus, et d’autres portent encore la teinte de leur écorce. C’est extrêmement joli, la vue est toujours belle, soit que je regarde par ma fenêtre, soit que l’on fasse quelques pas hors du village ou même dans les jardins.
Une des nièces d’Alfred vient passer ici quelques jours de ses vacances de Pâques, j’ai dû vous en parler, c’est Marie Bonnel de Versailles, d’une parfaite et très nombreuse famille ; je suis contente qu’elle vienne, elle est simple comme toute jeune fille sérieuse et elle est vraiment sympathique ; si nous pouvions nous voir davantage et si je n’avais pas déjà plusieurs très bonnes amies, ce serait une des jeunes filles que je verrais le plus volontiers. C’est donc sans déplaisir que je la vois venir pour quelques jours.
Emilie[9] a-t-elle reçu les deux morceaux que je lui ai envoyés Lundi (le Paradis et la Péri) ? Mes meilleures tendresses à Madame Roger[10] demain, à l’heure où j’écris Emilie sera aux chœurs.
Au revoir, ma bien chère Marie, je t’embrasse de loin aussi tendrement que possible, quand partez-vous pour Nancy ? je voudrais vous embrasser avant votre départ. Embrasse bien bien fort pour moi ta tante[11] et ma chère Emilie.
Ton amie bien affectionnée.
Paule Arnould
Ma chère Marie, c’est vous qui allez dire à votre excellente tante, en l’embrassant bien fort pour moi, combien je suis reconnaissante de cette quantité de jolis lots parmi lesquels j’ai reconnu son ouvrage plus d’une fois ; je ne me doutais guère, en lui voyant faire le chaud et gentil jupon qu’il était destiné à notre loterie. Je me figure la joie qu’aurait eue notre chère Lucy en voyant cette petite loterie si bien mise en train et c’est en pensant à elle que je vous remercie et vous embrasse toutes trois, mes bonnes Amies chéries ; Mathilde se joint à moi car vous savez combien elle vous aime aussi.
P. Arnould
Notes
- ↑ Mathilde Arnould.
- ↑ Edmond fils et Louis Arnould.
- ↑ Une lieue égale approximativement 4 kilomètres.
- ↑ Edmond Arnould.
- ↑ La maison du Vivier à Trigny (Marne) bâtie par Victor Baltard.
- ↑ Marguerite et Justine Jeanne Biver.
- ↑ Marcel, le plus jeune des enfants Arnould.
- ↑ Lucy Arnould, épouse d’Alfred Biver, décédée en 1876.
- ↑ Emilie Mertzdorff, sœur de Marie.
- ↑ Pauline Roger, veuve de Louis Roger, professeur de piano.
- ↑ Aglaé Desnoyers, épouse d’Alphonse Milne-Edwards.
Notice bibliographique
D’après l’original
Pour citer cette page
« Jeudi 25 avril 1878. Lettre de Paule Arnould (Saint-Gobain) à son amie Marie Mertzdorff (Paris) avec un ajout de sa mère Paule Baltard (épouse d’Edmond Arnould) », Une correspondance familiale (D. Poublan et C. Dauphin eds.), https://lettresfamiliales.ehess.fr/w/index.php?title=Jeudi_25_avril_1878&oldid=60406 (accédée le 21 novembre 2024).
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