Jeudi 24 juillet 1879
Lettre de Marie Mertzdorff (dans le train) à son père Charles Mertzdorff (Vieux-Thann)
Montre-Vieux[1] 8h1/2
Mon Père chéri, tu vas rire car il n’y a pas 2 heures que nous t’avons quitté et me voilà déjà occupée à t’écrire vraiment je ne sais pas trop ce que j’ai déjà [ ] à te compter conter mais on vient de nous enfermer dans une dégoûtante salle d’attente restauration avec la perspective d’y rester une heure, tante[2] et Emilie[3] ont pris leurs livres pour tâcher d’oublier les fumées du cigare et fermer l’oreille aux propos stupides des commis voyageurs qui nous entourent et moi je ne trouve rien de mieux que de venir causer avec mon petit Papa chéri qui doit être maintenant de retour à Vieux-Thann, et avec lequel je suis bien par la pensée. Tu ne t’attendais guère, hein, petit Père à recevoir une lettre de voyage, c’est une petite surprise que nous te préparions et tu comprends maintenant pourquoi l’encrier [carré] était indispensable dans le sac, malheureusement il aurait eu besoin d’être rempli de nouveau.
Nous sommes très bien installées dans le wagon où tu nous a mises, il est grand et large et j’espère bien que nous y resterons seules toute [la journée] car le train est presque vide ; il n’y a que un Monsieur et une dame en noir [que tu as vu] monter à Mulhouse puis quelques Messieurs fumeurs plus ou moins distingués ; ce sont 2 anglais, ils sont là je crois jusqu’à présent nos seuls compagnons de voyage. Il faut avoir la foi pour se persuader qu’on est dans le train rapide car il est difficile d’avoir été plus omnibus, depuis Mulhouse ; nous nous sommes arrêtés à tous les villages ; la campagne est belle très verte, tous les prés paraissent fauchés et ont pris un aspect d’automne, plusieurs sont couverts d’eau et tous les chemins sont détrempés. J’espère que la journée se passera sans pluie et la température est très agréable pour voyager. Je me prépare après Belfort à m’étaler sur ma banquette et à faire un bon somme car mes yeux sentent bien qu’ils ont été réveillés 2 heures plus tôt que de coutume, ils sont très lourds et tombent malgré moi au grand scandale d’Émilie qui est éveillée comme une petite souris. A bientôt un nouveau petit bonjour, mon Père chéri, il faut que je ménage mon papier pour pouvoir te parler encore des autres phases de notre voyage.
Chaumont - 5 minutes d’arrêt ! vite auprès de papa. Le voyage se fait bien ; la douane ne nous a pas fait d’ennuis, nous avons payé pour le calicot. Après d’interminables [arrêts] nous avons fini par arriver à Belfort où les wagons de Suisse nous ont raccrochés j’ai vu dedans M. Schlumberger le banquier (même casquette de voyage qu’autrefois ce qui me l’a fait reconnaître) avec toute sa famille qui a l’air très gentille. A partir de Belfort nous sommes devenus réellement [rapides] ; à 10h nous mourions de faim, nous avons mangé nos petits pains au lait mais ce repas a été funeste à pauvre tante qui a eu atrocement mal au cœur, à Vesoul nous avons employé nos 20 minutes à prendre l’air ce qui lui a fait du bien.
Troyes. Tout le monde va tout à fait bien, l’air de Vesoul a remis tante et nous avons tous dîné ; il fait un temps superbe et même chaud cependant la campagne est terriblement inondée, tous les bas-fonds sont changés en lacs au milieu desquels on voit flotter le pauvre foin cela fait peine à voir, si seulement le soleil brillait pour vrai ! C’est notre dernière station aussi je me dépêche ! la journée s’est parfaitement bien passée et nous a paru courte, nous avons dormi et lu ; je me lance à toute vitesse dans les Patins d’argent[4], Émilie a lu Violette[5].
Tante me charge de te dire que nous avons été très sages, j’espère que cela ne t’étonne pas ! Nous nous arrêtons à peine et par moment le train va extrêmement vite et comme les bâlois sont venus prendre notre tête nous nous trouvons à la queue du train et nous dandinons beaucoup ; c’est je crois ce qui aura fait mal à la tête de tante. Tu vois que nous remarchons !!
Vite un dernier adieu
Je t'embrasse [ ]
Notes
- ↑ Montre-Vieux, gare dans le Haut-Rhin sur la ligne Mulhouse-Paris.
- ↑ Aglaé Desnoyers, épouse d’Alphonse Milne-Edwards.
- ↑ Emilie Mertzdorff, sœur de Marie.
- ↑ Les Patins d'argent, roman américain de Mary Mapes Dodge (1865), traduit en 1875, paru sous pseudonyme de l'éditeur Pierre-Jules Hetzel (P. J. Stahl).
- ↑ Hypothèse : Violette, de Charlotte Mary Yonge.
Notice bibliographique
D’après l’original
Pour citer cette page
« Jeudi 24 juillet 1879. Lettre de Marie Mertzdorff (dans le train) à son père Charles Mertzdorff (Vieux-Thann) », Une correspondance familiale (D. Poublan et C. Dauphin eds.), https://lettresfamiliales.ehess.fr/w/index.php?title=Jeudi_24_juillet_1879&oldid=54273 (accédée le 9 octobre 2024).
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