Jeudi 22 février 1917 (A)

De Une correspondance familiale


Lettre de Damas Froissart (Paris) à son fils Louis Froissart (au front)

original de la lettre 1917-02-22A pages 1-4.jpg original de la lettre 1917-02-22A pages 2-3.jpg


CommandantFroissart
29, Rue de Sèvres, Paris[1]

Le 22/2/17

Mon cher Louis,

« Souviens-toi homme, que tu es poussière et que tu retourneras en poussière » : en forçant un peu le sens des mots, ça me faisait penser à toi et à ta caña quand on me disait cela hier à Saint-Sulpice et ta lettre du 19 est venue me confirmer que tu habites en terre mais que tu ne t’y trouves pas mal, vivant, – en attendant que ce soit « pour toujours » – [l'on] a supposé que ton gourbi [de] tôle [ceinturé] c’est une caña dont les parois sont garnies de tôle ? Un croquis à l’appui empêcherait mon imagination d’errer. Combien de gens dans chaque gourbi. Sur quoi es-tu couché ?

Tu nous révèles l’existence d’une cantine coopérative qui fait rêver ! n’y a-t-il pas un billard, un piano ? Que n’as-tu emporté ton violon !

Pour entrer dans tes vues et te mettre à l’abri de fâcheuses éventualités (si les boches venaient te cueillir, endormi, à 8h ½ du matin !) je t’envoie inclus 500 F dont tu affecteras la partie que tu jugeras bon à la Réserve, et dont tu assureras en temps utile le remplacement de la portion qui ne fera pas partie de la Réserve (300 F pour la Réserve sont sans doute suffisants ?) Ce sera le souvenir de tes 22 ans – tous mes vœux pour ta 23ème année.

En lisant les journaux d’il y a 8 jours et en rapprochant de ce qu’ils disaient de ce que nous croyons savoir sur votre emplacement d’alors, il nous semblait que vous aviez chance d’avoir collaboré à la rouspétance contre l’attaque boche qui malheureusement a trop bien réussi, en nous enlevant un point culminant qui domine la vallée de la Dommarie. J’ai même peut-être écrit que tu avais dû recevoir ce jour-là le baptême du feu. Mais tu étais encore à l’échelon, je crois, et tu n’as pas été lié, d’aussi près, à l’action que tu le serais maintenant étant téléphoniste. Dis-nous à l’occasion si tu as eu le « baptême du feu ».

Je suppose que ton métier de téléphoniste doit te faire travailler tantôt à l’observatoire, tantôt au Bureau du groupe ? Tu devrais pratiquer l’art de gagner les observatoires en te défilant ? en marchant peut-être parfois à 4 pattes.

Depuis le dégel j’ai pu réintégrer mon bureau qui fut la pièce la plus froide de la maison : un peu de charbon est venu au propriétaire[2] et, de temps en temps, on nous chauffe un peu.

J’ai, à grand renfort de [courses], de lettres, d’intrigues ramené chez moi et fait monter au 7e dans une de nos mansardes 1 250 kilos de bois (fagots) et 1 000 kilos de charbon : ça ne nous mènera pas loin si on ne nous chauffe pas !

Laure F.[3] est venue voir sa belle-mère[4] revenue de Courtrai et a trouvé à Paris son mari.

Gabrielle F.[5] est ici avec le sien qui paraît devoir occuper (à Paris ou dans la banlieue) un poste de l’arrière pendant 3 mois. Gabrielle s’y installera avec ses enfants[6] sans doute.

Michel[7] continue à aller de mieux en mieux : il se lève un peu. Jacques[8] paraît content de ses examens. Les Degroote hésitent à nous revenir pour l’événement attendu[9]. Ils ne reviendraient pas si Henri[10] était sûr de rester à Versailles. Pas de nouvelles fraîches de Pierre[11] qui est très près de Combié.

Mille amitiés.

D. Froissart

J’ai enterré hier mon ancien subordonné le [Cl] Bellanger qui était ici le secrétaire général du Bureau des [ ] et qui s’est assez fatigué pour ne pas résister à une bronchite.

T’ai-je dit que mes difficultés de prisonniers à Dommartin sont aplanies. J’ai demandé d’en avoir 10 ou plus de 10 (sans en avoir 30 obligés de travailler côte à côte), en joignant un certificat du général Bell-Smyth, disant que les boches étaient nécessaires chez nous et ne constituaient pas un danger dans notre région : j’avais donné à entendre au dit général que, à défaut de boches il me faudrait des anglais ! et ce qui m’avait été formellement refusé a été accordé.

On nous a réquisitionné en Alsace, il y a quelques jours, le charbon que nous avions mis en réserve pour pouvoir remarcher à la paix. Je proteste [naturellement], au nom de nos ouvriers, pour qui la paix ne [ ], [dès lors], le salaire [ ] nécessaire.

Ta mère[12] t’envoie ta bande molletière [arrimée] à ton bagage de La Braconne et du papier à lettres [ ]

DF


Notes

  1. Tampon sur papier deuil.
  2. Possiblement M. Grunberg ?
  3. Laure Froissart, épouse de Jules Legentil.
  4. Adélaïde Leleu, veuve de Paul Legentil.
  5. Gabrielle Froissart, épouse d’Albert Tréca.
  6. Paul, Gérard et Michel Tréca.
  7. Michel Froissart, frère de Louis.
  8. Jacques Froissart, frère de Louis.
  9. La naissance d’Odile Degroote.
  10. Henri Degroote.
  11. Pierre Froissart, frère de Louis.
  12. Emilie Mertzdorff, épouse de Damas Froissart.

Notice bibliographique

D’après l’original

Pour citer cette page

« Jeudi 22 février 1917 (A). Lettre de Damas Froissart (Paris) à son fils Louis Froissart (au front) », Une correspondance familiale (D. Poublan et C. Dauphin eds.), https://lettresfamiliales.ehess.fr/w/index.php?title=Jeudi_22_f%C3%A9vrier_1917_(A)&oldid=53789 (accédée le 27 avril 2024).

D'autres formats de citation sont disponibles sur la page page dédiée.