Jeudi 14 février 1878
Lettre de Marie Mertzdorff (Paris) à son père Charles Mertzdorff (Vieux-Thann)
Paris 14 Février 78.
Quoique ce ne soit pas aujourd’hui le jour régulier destiné à la correspondance, je veux cependant, mon Père chéri, profiter du moment que j’ai entre deux cours (M. Pasquier[1] étant souffrant) pour venir causer un peu avec toi. Demain j’aurai probablement très sommeil et ma lettre s’en ressentirait.
Tout d’abord que je te dise et que je te charge d’exprimer autour de toi notre joie de la naissance de notre petite cousine[2] ; cela a été pour Emilie[3] un charmant bouquet de fête ; nous avions été à la messe en l’honneur de ses 17 ans et en rentrant nous avons trouvé la lettre de bonne-maman[4] nous annonçant la grande nouvelle ; j’espère que tante Marie[5] va continuer à bien aller ainsi que Mlle … comment s’appelle-t-elle ? Je t’en prie écris-nous bientôt, nous souhaiterions tous avoir beaucoup de détails. Cela me semble si drôle d’avoir une petite cousine et je ne me figure pas du tout oncle Léon[6] papa ! que je voudrais donc la voir cette petite, sais-tu que je l’aime déjà ; comment est-elle ? à qui ressemble-t-elle ? l’as-tu vue ? Je suis ravie que ce soit une fille, c’est ce que je désirais ; oncle[7] taquine Emilie depuis ce matin parce qu’il prétend qu’elle souhaitait un garçon mais depuis qu’elle sait ce que c’est une fille elle ne comprend pas qu’elle ait voulu autre chose.
Je crois qu’Emilie enverrait volontiers promener l’examen pour ne plus songer qu’à sa filleule mais malheureusement le grand moment approche et quoique sa pensée aille, comme la mienne, bien des fois à Vieux-Thann, elle est brusquement rappelée dans ses problèmes. Quand sera le baptême ? M. Stackler[8] ira-t-il en Alsace pour ce moment-là ?
Mon pauvre père, que de questions !
Je suis sûre que tu me trouves bien ennuyeuse, mais c’est que, vois-tu, quand on est loin on a toujours envie de savoir les choses et cette petite créature, qui a actuellement 26 heures, nous préoccupe beaucoup. C’est si gentil les bébés, je voudrais bien qu’elle devienne une personne très raisonnable.
Ce sujet m’absorbe tant que je ne trouve rien d’autre à te dire. Hier j’ai été à la Sorbonne ; nous avons eu notre dernier cours de M. Riche[9]. Paule[10] et moi étions désespérées. Nous avons étudié le soufre je crois que pour la dernière fois le cours était encore plus amusant que de coutume ; aussi à la fin avons-nous applaudi de toutes nos forces. Paule en était toute rouge. Je ne crois pas que je suive d’autres cours pendant le 2e trimestre ; M. Schützenberger[11] me tente peu, de plus il fait son cours le Lundi et il me serait difficile d’y aller ce jour-là. Par exemple d’abandonne sans regret mon cours de géographie. M. Périgot[12] aime trop la statistique et les chiffres.
Nous allons dans un instant avoir le cours de littérature[13] je n’ai point fait de devoir ce qui me rend fort honteuse. Si tu savais papa, comme je suis paresseuse en ce moment ! Je ne sais si c’est le monde qui me tourne la tête ou qui m’endort le fait est que je ne travaille presque plus et que je n’aurai rien à te montrer quand tu nous arriveras dans quelques jours. Quel bonheur de te revoir !
Ce soir je vais chez Mmes Wurtz[14] et Thénard[15] je ne m’en réjouis guère. La bonne petite (ou plutôt grande maintenant 17 ans !) restera à la maison.
Adieu, mon Père chéri, j’espère que bientôt nous recevrons une lettre de toi en attendant je t’embrasse de toutes mes forces comme je t’aime. J’avais l’intention d’écrire aujourd’hui à bonne-maman[16] je n’en aurai pas le temps ; dis-lui que je l’embrasse beaucoup et que j’espère que sa nouvelle petite-fille l’aimera comme ses 2 vieilles.
Amitiés et félicitations au papa nouveau papa[17] qui doit être bien heureux et à la maman j’envoie aussi mes amitiés et [ ]
Je t’embrasse de tout mon cœur.
Ta fille qui t’aime beaucoup.
Marie
Notes
- ↑ M. Pasquier, professeur d’histoire.
- ↑ Hélène Duméril, née la veille.
- ↑ Emilie Mertzdorff, sœur de Marie.
- ↑ Félicité Duméril, épouse de Louis Daniel Constant Duméril.
- ↑ Marie Stackler, épouse de Léon Duméril.
- ↑ Léon Duméril.
- ↑ Alphonse Milne-Edwards.
- ↑ Henri Stackler, frère de la jeune mère.
- ↑ Alfred Riche donne des cours de chimie.
- ↑ Paule Arnould.
- ↑ Paul Schützenberger donne des cours de chimie.
- ↑ Charles Périgot.
- ↑ Cours de littérature donné par Eugène Talbot ?
- ↑ Constance Oppermann, épouse de Charles Adolphe Wurtz.
- ↑ Fanny Derrion Duplan, épouse de Paul Thénard.
- ↑ Félicité Duméril, épouse de Louis Daniel Constant Duméril, grand-mère de la petite Hélène Duméril et de Marie et Emilie Mertzdorff.
- ↑ Léon Duméril.
Notice bibliographique
D’après l’original
Pour citer cette page
« Jeudi 14 février 1878. Lettre de Marie Mertzdorff (Paris) à son père Charles Mertzdorff (Vieux-Thann) », Une correspondance familiale (D. Poublan et C. Dauphin eds.), https://lettresfamiliales.ehess.fr/w/index.php?title=Jeudi_14_f%C3%A9vrier_1878&oldid=39836 (accédée le 23 novembre 2024).
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