Jeudi 13 et samedi 15 décembre 1877
Lettre de Charles Mertzdorff (Vieux-Thann) à sa fille Marie Mertzdorff (Paris)
Jeudi 13/14 Xbre 77.[1]
Marie.
Ma grosse chérie en recevant ce matin ta bonne lettre je m’attendais que tu me parles du dentiste & de ta pauvre dent dont ta sœur[2] me donne quelques détails trop insuffisants pour un papa qui laisse volontiers ses pensées tournoyer autour de ses petites filles. As-tu bien souffert ? trouves-tu que tes pauvres gencives s’en trouvent bien. Cette coquine de bouche qu’on aime cependant beaucoup m’a déjà donné plus d’une préoccupation, si je n’en parle jamais j’y pense cependant bien souvent. Aussi me feras-tu plaisir à me donner quelques détails sur cet accessoire de ta petite personne. Ce sera un petit effort à faire, ton pied droit louchera à gauche, son compagnon pour être plus à l’aise prendra sa position habituelle sur la bottine de droite. [ ] les deux orteils bien en l’air comme s’ils adoraient le pauvre soleil qui est cependant bien rarement visible dans cette saison.
Laisse faire cette vilaine engeance, qui a de si vilaines habitudes & écris bravement à ton père l’historique demandé.
Je sais par bon-papa[3] qu’au Moulin l’on a reçu une lettre de tante Aglaé[4] qui me dit-on donne des détails sur tous. Ce qui n’a pas empêché bon-papa d’empocher ta lettre pour aller la lire avec sa femme[5], il est toujours là à l’arrivée du Courrier pour son journal. Nous y sommes tous espérant toujours trouver une solution heureuse à toutes ces affaires politiques de France qui intéressent en somme tous les pays. Mais toujours rien, c’est désolant[6].
Ce qu’il y a d’ouvriers français qui viennent demander aumône faute d’ouvrage est extraordinaire il en sera de même de l’autre côté des monts pour les Alsaciens. Cependant à peu près toutes les fabriques travaillent, beaucoup à heures réduites mais tout est si cher que la vie est difficile.
Si vos pauvres sœurs sont dans la peine dans une ville qui est la réunion de toutes les grandes fortunes, il ne faut pas s’étonner si sœur Bonaventure se lamente, elle fait faire une quête [en] vallée && à Thann, mais il paraît qu’elles récoltent fort peu. C’est une maladie de l’époque [tout ce qui touche à la religion se vouant toute leur vie ne] peut plus être compris ; plus nous allons pire ce sera.
Ce qui précède a été écrit avant-hier & j’ai laissé passe toute ma journée de Jeudi sans trouver un moment pour vous [ ] peu intéressant du reste. Toute ma matinée d’hier a été prise d’abord par M. le Maire[7] pour déterminer avec le Kreisingenieur[8] les limites de la route & du nouveau presbytère. Puis j’ai eu la maladresse de montrer à M. Zimmermann le nouveau Jardin des sœurs qui est achevé & avec lequel j’ai grande satisfaction & plaisir. Enfin nous sommes entrés à l’école de couture que l’autorité supérieure du village ne connaissait pas & une fois là les sœurs sont si contentes de vous avoir que l’on ne peut quitter qu’après avoir entendu chanter, réciter, admiré couture etc etc. Si bien qu’il était près de 11 h lorsque je suis rentré au bureau où j’ai eu la mauvaise fortune de trouver un voyageur pour Machines qui m’a ennuyé jusqu’après Midi. Impossible de songer à finir ma lettre. N’ayant rien fait le matin j’ai passé mon après-midi à courir dans la fabrique où je suis maintenant souvent & longtemps si bien que je n’ai lu mon journal que le soir, je savais du reste déjà que je n’y trouverais rien de bien nouveau. Et aussi lorsque du nouveau s’y trouvera serons-nous plus contents ? Tout cela est bien inquiétant lorsque l’on a une usine avec tant d’ouvriers pour lesquels en somme nous devons soigner autant qu’il est dans notre pouvoir. Mais que de difficultés en ce moment.
M. Jaeglé[9] était à Bâle il y a 3 jours & là aussi grandes concertations de tous & tout ce monde a les yeux sur Paris.
Hier au soir j’ai eu par ricochet la visite de tante & Oncle Georges[10] qui sont venus rendre visite à Marie[11] mais ils ne sont restés qu’un moment.
Marie continue à bien aller le Docteur Bornèque[12] va interrompre ses visites quotidiennes, comme je crois vous l’avoir déjà dit elle a bien meilleure mine elle circule maintenant un peu dans sa maison, mais un moment elle m’a donné des inquiétudes. Sa mère[13] est toujours avec elle & ces dames travaillent ensemble. Marie est déjà très bien acclimatée à Vieux-Thann & dans son petit ménage & son livre de caisse, qui, à ce qu’il paraît est une grande nouveauté pour elle & encore bien plus pour le Mari, qui n’a jamais inscrit une seule dépense depuis qu’il est. Il apprendra à compter, ce qui n’est jamais une mauvaise chose.
Les dames Berger[14] sont venues passer leur après-midi auprès de Mme Léon & sa mère, comme voisines je crois que ces dames se verront souvent car la Jeune dame m’a dit grand bien de ces Demoiselles c’est surtout Marie B qui lui plait beaucoup. il paraît qu’elle était très gaie & causante. Maintenant tous les Vendredi soir ces Dames Berger reçoivent [les] maîtresse[s] Madame Boissière[15] qui donne une leçon aux grandes & petites le soir après souper, le Samedi elle fait deux cours à Bitschwiller & Thann pour les petites le matin les grandes le soir puis à 1 h elle revient à Vieux-Thann pour donner une leçon particulière[16] à la petite Jaeglé[17] & après à ces DemoisellesBerger. Cette dame quitte les Berger à 41/2 du soir & à 6 h arrive Mme Rieder[18] qui je crois couche aussi chez les Berger pour le samedi donner une leçon de chant. Mme Rieder passe son dimanche à Thann auprès de ses parents[19] & peut-être partie auprès des dames Berger. Tu vois qu’il n’est pas bien facile de se donner des Maîtresses à Vieux-Thann & c’est encore une bonne fortune que d’avoir ces dames qui veulent bien venir jusqu’ici.
Les Journées se passent si vite nous voici déjà au 14 & bientôt il faudra que je fasse mes préparatifs de départ & cependant depuis que je suis ici je trouve que nous n’avons pas fait grand chose, il y a toujours beaucoup de changements à faire pour que le travail se fasse plus facilement & plus économiquement.
Voici un grand papier noirci sans grand intérêt & noirci en grande hâte. Je t’embrasse bien, Emilie, tante & Oncle[20]. & tout à toi ton père qui t’aime
ChsMff
Notes
- ↑ Papier à en-tête professionnel.
- ↑ Emilie Mertzdorff.
- ↑ Louis Daniel Constant Duméril.
- ↑ Aglaé Desnoyers, épouse d’Alphonse Milne-Edwards.
- ↑ Félicité Duméril épouse de Louis Daniel Constant Duméril.
- ↑ La France traverse une crise institutionnelle depuis que Mac-Mahon, président de la République, a nommé en mai 1877 un chef de gouvernement monarchiste alors que la Chambre des députés élue en 1876 est en majorité républicaine ; c’est seulement le 13 décembre 1877 que Mac-Mahon reconnaît sa défaite politique.
- ↑ Thiébaut Zimmermann, maire de Vieux-Thann de 1872 à 1883.
- ↑ Kreisingenieur : ingénieur de district.
- ↑ Frédéric Eugène Jaeglé.
- ↑ Elisabeth Schirmer et son époux Georges Heuchel.
- ↑ Marie Stackler, épouse de Léon Duméril (« Mme Léon », « la jeune dame »).
- ↑ Pierre Léon Bornèque.
- ↑ Marie Stéphanie Hertzog, veuve de Xavier Stackler.
- ↑ Joséphine André, épouse de Louis Berger, et ses filles, Marie et Hélène (et Julie, 9 ans ?) Berger.
- ↑ Augusta Stromeyer, veuve d’Émile Boissière.
- ↑ Une pliure du papier rend ces phrases peu lisibles. On peut lire « demander », « il en sera », « pour les Alsaciens ».
- ↑ Julie Frédérique Jaeglé, 13 ans.
- ↑ Marie Élisabeth Schlumberger, épouse de Jean Aimé Rieder.
- ↑ Gaspard Schlumberger et son épouse Marie Hofer.
- ↑ Aglaé Desnoyers et son époux Alphonse Milne-Edwards.
Notice bibliographique
D’après l’original
Pour citer cette page
« Jeudi 13 et samedi 15 décembre 1877. Lettre de Charles Mertzdorff (Vieux-Thann) à sa fille Marie Mertzdorff (Paris) », Une correspondance familiale (D. Poublan et C. Dauphin eds.), https://lettresfamiliales.ehess.fr/w/index.php?title=Jeudi_13_et_samedi_15_d%C3%A9cembre_1877&oldid=59997 (accédée le 8 décembre 2024).
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