Dimanche 26 mars 1916
Lettre d’Emilie Mertzdorff, épouse de Damas Froissart (Paris) à son fils Louis Froissart (Camp de La Braconne)
29, RUE DE SÈVRES, VIE[1]
26 Mars
Mon cher Louis,
J'ai bien des nouvelles à t'apprendre : d'abord Baleine va beaucoup mieux, on a pu l'amener à Paris, il est rue Bizet. Ton papa[2] l'a vu hier et a eu par lui des nouvelles de Michel[3] qu'il a vu Dimanche dernier. Il nous a donné la situation exacte de Michel à la ferme Navarin ; il n'est donc pas du tout allé du côté de Saint Mihiel[4] comme nous avions cru le comprendre. Cette ferme célèbre est au Nord de Souain[5] et, en effet, Michel doit se trouver tout près de René de Nazelle[6].
Paul Malvache et l'ex-rosière de Dommartin[7] sont arrivés hier soir pour avoir ce matin une entrevue à Paris avec le père du jeune père et le peut-être le jeune père lui-même... Ton papa a eu par le Curé des renseignements satisfaisants sur la famille : le père est entrepreneur, le fils maçon. J'espère que l'on ne trouvera pas la jeune beauté un peu trop dépourvue de grâce ; en tous cas elle promet de donner une race vigoureuse de petits maçons et c'est peut-être ce que l'on trouvera de plus important.
Nous ne savons rien de nouveau pour l'installation des Anglais à Brunehautpré. Nous y allons demain ton père et moi, en toute hypothèse. Ton père a d'ailleurs une réunion chez Lavocat[8] demain. Paul[9] nous dit qu'on paraît vouloir installer l'aviation dans les pâtures Allard entre Lambus et Saint André. Ce serait heureux pour nous, car on nous menaçait de la mettre à Brunehautpré au cas où l'EM[10] ne s'y installerait pas. M. le Doyen[11] écrit d'autre part qu'on pose une ligne télégraphique de 15 fils entre Montreuil et Saint André ce qui tendrait à confirmer la nouvelle. De sorte que nous espérons échapper aux Anglais, les officiers paraissant désireux de s'établir plutôt à Brimeux qu'à Brunehautpré: le Lieutenant interprète que ton père a revu avant-hier a plusieurs fois exprimé le désir personnel de s'installer chez Mme Fontaine.
J'ai trouvé hier le « philopode » mais non le cosmétique du soldat. Je vais te l'envoyer avec de l'andouille de Brunehautpré.
T'ai-je dit que j'avais été voir Vendredi M. l'Abbé[12] ? c'est par lui que j'ai su l'arrivée de Baleine rue Bizet. Il m'a dit avoir reçu récemment quelques lignes de toi.
Que dis-tu de tes examens ? ton silence n'est-il pas un peu déconcertant ?
Tu peux compter nous trouver ici Samedi, dans le cas où tu pourrais avoir une permission. Ton papa est encore bien enrhumé, cela m'ennuie de lui voir faire dans cet état le voyage de Campagne, car il est loin de faire chaud.
On fait courir le bruit de la mort d'Adolphe Vitrant qui, ce qui est certain, a disparu ; Amaury disparu aussi, on l'a vu très blessé. Jules Baratte serait mort ; d'aucuns disent qu'Eugène[13] le serait aussi mais les Alfred Dupont[14] qui dînaient ici hier soir n'avaient pas reçu confirmation de cette seconde nouvelle par leur tante Fontaine[15] qui leur avait annoncé la mort de Jules. Ce serait affreux, les 2 Baratte étaient artilleurs, tous 2 au 41e, je crois.
L'Artillerie a beaucoup souffert dans la bataille de Verdun. Le 1er Corps en particulier a été très éprouvé, aussi allons-nous sans doute apprendre une longue série de malheurs : Allaud[16] n'a pas donné de nouvelles depuis plus d'un mois. Il était à la bataille de Verdun.
Je t'embrasse tendrement, mon cher enfant. Amitiés de ton père et de tous
Emy
Notes
- ↑ Adresse imprimée.
- ↑ Damas Froissart.
- ↑ Michel Froissart, frère de Louis.
- ↑ Saint-Mihiel dans la Meuse.
- ↑ Souain dans la Marne.
- ↑ René du Cauzé de Nazelle.
- ↑ Louise Malvache, fille de Paul Malvache.
- ↑ Albert Lavocat.
- ↑ Paul Froissart.
- ↑ EM : état-major.
- ↑ Jean Baptiste Legay, doyen de Campagne-les-Hesdin.
- ↑ L’abbé Marcel Pératé.
- ↑ Eugène Baratte, frère de Jules.
- ↑ Alfred Dupont et son épouse Jeanne Descat.
- ↑ Corine Dupont épouse de Gustave Henri Fontaine.
- ↑ Léon Allaud.
Notice bibliographique
D’après l’original
Pour citer cette page
« Dimanche 26 mars 1916. Lettre d’Emilie Mertzdorff, épouse de Damas Froissart (Paris) à son fils Louis Froissart (Camp de La Braconne) », Une correspondance familiale (D. Poublan et C. Dauphin eds.), https://lettresfamiliales.ehess.fr/w/index.php?title=Dimanche_26_mars_1916&oldid=55582 (accédée le 21 novembre 2024).
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