Dimanche 1er septembre 1878

De Une correspondance familiale


Lettre de Paule Arnould (Arthel dans la Nièvre) à son amie Marie Mertzdorff (Paris)


original de la lettre 1878-09-01 pages 1-4.jpg original de la lettre 1878-09-01 pages 2-3.jpg


Chez Mme Blondeau[1]
Arthel
Par Prémery - Nièvre

Arthel, 1 Septembre 1878.

Tes chères lettres me font toujours un plaisir immense, ma Marie chérie ; mais je n’aurais pas attendu que tu m’écrives si je l’avais pu, mon Amie chérie, pour venir causer avec toi ; il a bien fallu la multiplication de nos occupations dans cette dernière semaine pour retenir ma plume et mon cœur. Je vous avais dit nos projets ; voici maintenant ce que nous en avons fait. Nous avons passé tout notre mois d’Août à Sceaux[2] ; trois fois par semaine Edmond et Louis[3] allaient à l’Exposition ; à ma grande joie, j’ai pu les accompagner plusieurs fois ; nous n’avons couché à Paris que quatre ou cinq fois, lorsque nous devions revenir le lendemain à Paris. Quoique nous n’ayons pas fait grand’chose pour la fête de Mère[4], notre ouvrage et les préparatifs du départ nous ont bien pris notre temps avec l’Exposition. Nous avons pu à notre grand bonheur aller au mariage de Marie Barbe[5] ; nous avons fait Mathilde[6] et moi un véritable tour de force pour réaliser ce projet ; nous sommes parties de Sceaux à 9h 1/2 du soir, de Paris à minuit et demi, et nous sommes arrivées à 5h du matin à la gare pour le Vivier[7]. Nous nous sommes un peu promenées, habillées, nous avons reçu nos anciens gardiens qui étaient si heureux de nous revoir, nous sommes restées toute la journée avec nos amies et le lendemain nous repartions à midi après les avoir revues, et fait tout ce qu’on a à faire lorsqu’on vient chez soi, même en passant. Félicie[8] avait voyagé avec nous pendant la partie noire de la nuit, sous le prétexte d’aller voir ses parents qui habitent près de Soissons. J’ai infiniment joui de ce court voyage. Mon cher Vivier était ravissant ; notre amie était charmante si simple, si peu occupée d’elle, si affectueuse avec tous ; et ce qui était au moins aussi gentil c’est que son mari, lorsqu’elle restait quelque temps sans venir nous voir, nous la renvoyait en disant qu’il l’aurait toute à lui dans deux jours, tandis qu’elle ne pouvait nous voir que quelques heures. Je trouve que c’est vraiment bon de voir l’affection si bien comprise. De plus nous avons la chance que l’ami qui a fait leur mariage habite assez près d’ici et en revenant de Suisse, le jeune ménage passera quelques jours dans la Nièvre ; là, encore l’amitié est bien comprise, et on nous a fait toutes les invitations et propositions possibles pour nous permettre de nous retrouver. Tous les amis que nous avons retrouvés ont tous été très affectueux ; on est heureux de se sentir ainsi aimés, mais il n’y en a pas beaucoup dans le nombre auxquels on donne toute son amitié ; car, avec Marie Barbe, tu connais toutes mes amies, et même, ma chère petite Marie, très intimement.

Après le mariage de notre amie, nous avons passé un jour plein à la maison à Paris pour faire nos malles, et nous sommes partis Samedi matin 31, à 6h 1/2 de la gare de Lyon. Nous sommes donc arrivés ici hier, par un temps charmant, je suis encore trop nouvelle pour pouvoir te parler de ce pays avec connaissance ; j’ai pourtant déjà beaucoup joui de mon voyage et mes premières impressions sont très bonnes. Nous avons trouvé ici ma tante, Mme Blondeau, sa fille Hélène Martinet[9] qui habite ordinairement Pontoise avec son mari et ses deux petites filles, un peu plus jeunes que Marcel[10] ; enfin un beau-frère et une belle-sœur de ma tante. Maintenant, je pense, nous voilà ici pour jusqu’au commencement d’Octobre ; quelle sera notre vie ? je n’en sais rien du tout. Je crains seulement un peu les allées et venues d’invités et voisins. Enfin !...

Je suis contente, mes amies[11] chéries, que vous ayez bien joui de votre séjour au bord de la mer[12]. J’ai bien pensé à vous pendant tous ces jours de pluie ; comme je vais encore plus penser à toi, ma chérie, pendant votre séjour à Vieux-Thann. Ma petite Marie, ne t’en effraie pas trop d’avance ; je comprends bien que cela t’ennuie et même te chagrine puisque pendant ce temps tu es séparée de ta chère Tante[13], mais au point de vue des choses à faire, et surtout de la manière de les faire, ce sera bien assez de t’en préoccuper au moment ; puisque cela a été bien la dernière fois pour beaucoup de choses, il est évident que cela doit aller plutôt mieux cette fois-ci. D’ailleurs je suis sûre que ta chère Tante t’a déjà donné bien des conseils qui te seront très précieux. Je vais penser à toi, mon Amie chérie, avec toute mon affection et je prierai bien pour toi, je t’aime tant ! Je te quitte quoique j’aie bien des choses à te dire encore ; j’ai profité pour t’écrire du temps des Vêpres, car, quoique beaucoup mieux, j’avais encore assez mal à la jambe tout à l’heure et j’ai trouvé plus sage de me reposer ; tu vois que c’est bon à quelque chose d’être attaché par la patte et j’ai passé un bon moment avec toi.

Embrasse tendrement ta Tante chérie pour moi ainsi que ma chère Emilie. Pour toi, ma Marie, je t’aime et je t’embrasse de toutes mes forces. Ta bien affectionnée Paule

Comme je pense que vous irez à l’Exposition avec votre Père[14] à Paris, je vous recommande tout à fait, si vous ne les avez pas vues, les deux galeries de portraits historiques dans les salles de conférences au Trocadéro, c’est peut-être la plus belle chose de l’Exposition, et il ne faut pas se laisser décourager par la difficulté de les voir, car c’est souvent très difficile.


Notes

  1. Anna Arnould, épouse d’Adolphe Blondeau.
  2. Dans la villa construite à Sceaux par son grand-père Victor Baltard.
  3. Edmond (15 ans) et Louis (14 ans) Arnould, jeunes frères de Paule.
  4. Paule Baltard, épouse d’Edmond Arnould.
  5. Marie Barbe a épousé Louis Charles Edmond Chesnay le 28 août 1878.
  6. Mathilde Arnould.
  7. Le Vivier par Jonchery-sur-Vesle, dans la Marne.
  8. Félicie, probablement employée par les Arnould.
  9. Hélène Prouvensal de Saint-Hilaire, épouse de Camille Martinet ; ils ont deux filles, Louise et Solange Martinet.
  10. Marcel Arnould, 6 ans.
  11. Marie et sa sœur Emilie Mertzdorff.
  12. Vacances des Mertzdorff-Milne-Edwards à Perros-Guirec (Côtes-d'Armor).
  13. Aglaé Desnoyers, épouse d’Alphonse Milne-Edwards.
  14. Charles Mertzdorff.

Notice bibliographique

D’après l’original

Pour citer cette page

« Dimanche 1er septembre 1878. Lettre de Paule Arnould (Arthel dans la Nièvre) à son amie Marie Mertzdorff (Paris) », Une correspondance familiale (D. Poublan et C. Dauphin eds.), https://lettresfamiliales.ehess.fr/w/index.php?title=Dimanche_1er_septembre_1878&oldid=51329 (accédée le 15 novembre 2024).

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