Dimanche 13 septembre 1863

De Une correspondance familiale

Lettre d’Eugénie Desnoyers (Ancy-le-Franc) à sa sœur Aglaé, épouse d’Alphonse Milne-Edwards (Paris)

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Ancy-le-Franc

13 7bre 63

Ma chère petite Gla,

Papa[1] est très touché du dévouement que tu montres à la cause des os de St Prest[2] et me charge de t'adresser tous ses remerciements pour le courage que tu as eu de lui copier une partie de l'article. Les objections qu'on lui fait ne l'inquiètent pas, il a de quoi y répondre. Il aimerait bien savoir si l'article est signé.

Moi la receveuse de ta lettre je te ferai moins de compliments, car j'appelle cela un vol manifeste : 8 pages, c'était de bonne augure ! et à la lecture, 3 à peine se sont trouvées à mon adresse, aussi est-ce une dette que tu as contractée et j'attends encore de bonnes causeries de toi. Ici le courrier est toujours attendu avec impatience, et il n'est pas généreux à mon endroit. Je sais bien que, depuis que je suis ici, je n'ai écrit qu'à toi, et que jusqu'à présent tu n'as pas été paresseuse. Continue. Tu vois de ta chaise longue notre vie. A peu près la même que nous menions à Burbach si ce n'est que nous sommes mieux installés, que nous avons un meilleur personnel et que nous passons chaque jour en promenades. Alfred[3] est très occupé, nous le voyons peu. Aujourd'hui la forge est arrêtée, c'est quinzaine de réparation et il a encore à faire. M. Laon vient de partir, c'est un homme du monde qui cause agréablement et a l'air très fin. Ces Messieurs sont allés hier à 7 lieues voir des sondages. Maman[4] et moi nous avons été en ville faire nos petits achats. On a bien de la peine à se procurer des petites délicatesses ; il y a je crois des ressources dans le pays mais il faut savoir.

Le temps est magnifique, on n'a pas de fumée et le jardin est vraiment gentil ; papa va dessiner la pelouse et on laissera le reste en potager. Il n'y a qu'un petit canal qui sépare le jardin du parc où tout le monde a droit de promener. Ceci est très agréable ; le pays est très boisé, accidenté et l'eau y abonde. Tout cela constitue une belle campagne. Mais j'avoue tout bas que Maman et moi nous ne trouverions pas cela très gai si nous n'étions pas ensemble.

Je suis bien contente que Louise[5] aille bien pour elle et pour toi. Te voilà au régime des bains, espérons que cela te fera du bien. Ce pauvre M. Dewulf doit être bien inquiet. Je les plains ces pauvres gens. Ils étaient si heureux du mariage de leur fille.

Je ne suis pas pour de nouveaux achats, et puisque tu me demandes mon avis, je te dirai que j'aimerais mieux me servir de ce que j'ai et garder le neuf pour l'hiver. Est-ce qu'on sait de quoi on aura besoin : Pour bains et autre, la vieille robe de chambre ; les jours chauds pour déjeuner, robe grise et perse que je réarrangerais bien vite pour la fin du mois ; puis la robe de barège[6] qui est encore de saison. Pour les jours sombres : robe à petits carreaux et robe de mérinos que je ferais refaire maintenant et dont tu jouirais pendant la présence de Cécile[7] et que tu auras ensuite plus fanée comme robe chaude du matin cet hiver.

Puis tu auras encore ta robe écossaise dont tu pourras te servir enfin. Pourquoi faire des reliques de ce qu'on a dans je ne sais quel but.

Nous sommes allés à la messe de 8 h à Ancy-le-Franc, maintenant je te quitte pour aller voir pêcher à l'écrevisse, puis je pense faire un tour. Maman n'est pas mal, cependant aujourd'hui nous sommes un peu fatigués, ça tient peut-être à la chaleur et à un rêve de serpent qui mordait Julien[8] et qui m'a donné le cauchemar toute la nuit. Papa prépare la petite course de Montbard. Alphonse[9] s'occupe-t-il en ce moment des crabes du terrain jurassique, la patte de crabe dont je t'ai parlé ayant été trouvée dans le calcaire néolithique moyen, papa rechercherait plus attentivement si ton mari s'occupe de ce terrain actuellement[10] ?

Adieu, ma chérie, je t'embrasse bien tendrement, tu sais comme nous t'aimons, écris-moi sœur amie

ED

Je n'ai reçu de lettre de personne, pas même de Mme Duméril[11], ça m'étonne et m'ennuie un peu. As-tu eu de ses nouvelles ? Maman a écrit à Montmorency pour qu'on nous dise comment est François[12] et chez toi comment va-t-on ? Tu pourras nous envoyer par la poste le Monde illustré après l'avoir regardé. Tu pourras en faire autant pour le Magasin pittoresque si ton mari passe du côté de l'Odéon.


Notes

  1. Jules Desnoyers.
  2. Lors de la séance du 8 juin 1863 à l'Académie des sciences, Jules Desnoyers soutient que les ossements incisés et les silex qu’il a trouvés à Saint-Prest (près de Chartres) prouvent que les hommes existaient dès le pliocène (ère tertiaire). Le compte-rendu de cette séance est publié : Note sur des indices matériels de la coexistence de l'homme avec l'"Elephas meridionalis" dans un terrain des environs de Chartres plus ancien que les terrains de transport quaternaires des vallées de la Somme et de la Seine (12 pages). Cette thèse, discutée d’abord par certains, est par la suite confirmée par de nombreux savants.
  3. Alfred Desnoyers, frère aîné d’Eugénie, chez qui réside la famille.
  4. Jeanne Target, épouse de Jules Desnoyers.
  5. Probablement Louise Milne-Edwards, épouse de Daniel Pavet de Courteille, belle-sœur d’Aglaé.
  6. Le barège est une étoffe de laine légère.
  7. Cécile Milne-Edwards, belle-sœur d’Aglaé.
  8. Julien Desnoyers, frère d’Eugénie et Aglaé.
  9. Alphonse Milne-Edwards, époux d’Aglaé.
  10. Alphonse Milne-Edwards poursuit les recherches que son père Henri avait initiées en 1838 sur les critères de la distribution des crustacés qui vivent soit dans la mer, soit en eau douce, soit sur la terre ferme. A l’époque de cette lettre, Alphonse Milne-Edwards a déjà publié une « Note sur les Crustacés fossiles » (Bulletin de la Société géologique de France, 1861) et sa thèse : Histoire des Crustacés podophthalmaires fossiles... (1861).
  11. Félicité Duméril, épouse de Louis Daniel Constant Duméril (voir les lettres qu’elle adresse à Eugénie depuis la mort de sa fille Caroline).
  12. François, domestique chez les Desnoyers.

Notice bibliographique

D’après l’original

Pour citer cette page

« Dimanche 13 septembre 1863. Lettre d’Eugénie Desnoyers (Ancy-le-Franc) à sa sœur Aglaé, épouse d’Alphonse Milne-Edwards (Paris) », Une correspondance familiale (D. Poublan et C. Dauphin eds.), https://lettresfamiliales.ehess.fr/w/index.php?title=Dimanche_13_septembre_1863&oldid=39346 (accédée le 5 novembre 2024).

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