1844 - Discours d'André Marie Constant Duméril, à la mort d'Etienne Geoffroy Saint-Hilaire
Messieurs,
C’est ici le dernier asile, le champ de repos auquel nous allons confier la dépouille mortelle de l’un des naturalistes les plus distingués de notre époque. Il a aimé, cultivé, professé la science pendant cinquante années d’une vie laborieuse. Ses recherches incessantes, ses observations ingénieuses et ses découvertes ont été tellement importantes que le nom vénéré d’Étienne Geoffroy Saint-Hilaire restera pour toujours inscrit dans les fastes de la zoologie et attaché à l’histoire de ses progrès.
Ce n’est pas dans cette enceinte, à la vue de cette tombe entr’ouverte, pénétrés comme nous le sommes tous ici des sentiments douloureux de tristesse et d’affliction, que nous devons chercher à faire apprécier le savant, dont les louanges, si bien méritées, seront nécessairement reproduites ailleurs et plus solennellement proclamées. Exprimons donc simplement nos regrets, en reportant nos pensées sur la vie honorable d’un confrère, dont toutes les phases ont été vertueuses et toujours remplies par des travaux qui ont donné une très vive impulsion à l’étude des êtres animés.
Que ne puis-je d’abord vous représenter ce jeune étudiant des sciences naturelles plein de zèle, d’ardeur, d’activité, de courage civil, déjà dévoué et obligeant comme il le fut toujours pour ses amis. Il apprend que plusieurs de ses maîtres sont retenus avec d’autres ecclésiastiques, dans une sorte de prison, et trop malheureusement exposés à perdre la vie, par suite d’une effervescence populaire : tout à coup son âme élevée et reconnaissante se trouve exaltée par un sentiment d’humanité ; il connaît le danger, mais, entraîné par une soudaine et énergique inspiration, il se dévoue hardiment. Revêtu des insignes d’un pouvoir qu’il croit devoir momentanément usurper, il parvient à s’approcher des détenus, et par suite, à en soustraire lui-même quelques-uns à la mort la plus imminente. Cette explosion d’un cœur sensible, mais intrépide, reçoit bientôt une noble récompense, car ce courageux dévouement lui ouvre la carrière dans laquelle ses succès le rendront célèbre.
Déjà, et par cette belle action, il s’est acquis à son insu des amis solides, des protecteurs reconnaissants, tels que Haüy, Daubenton[1], Lacépède, qui, appréciant son zèle, ses moyens, son ardent amour pour la science, l’accueillent, le dirigent, l’appuient, rendent de sa capacité le meilleur témoignage, se portent ses garants, et le font admettre comme leur collègue professeur au Muséum d’histoire naturelle, par le fait, à l’âge de vingt et un ans !
Honoré, excité par des suffrages aussi éminents dont il sent tout le prix, et pour s’en rendre plus digne, il se livre avec ardeur à la connaissance des animaux vertébrés qui doivent faire l’objet particulier de ses démonstrations. Ses études sur les formes, l’organisation et les mœurs de ces êtres développent en lui le besoin impétueux, cette passion de connaître, de découvrir des faits nouveaux qui ont constamment dirigé ses recherches, ses travaux et ses écrits. Aussi en moins de quatre années de soins assidus, d’études spéciales, il rassemble, dispose et coordonne les nombreuses collections du muséum.
Pour la première fois, il reçoit et fait nourrir dans cet établissement les animaux qu’il veut observer pendant et après leur vie ; il crée ainsi, il établit les fondements de cette ménagerie qui, depuis, et sous sa direction unique, est devenue le modèle d’une institution enviée par toute l’Europe savante. Joignant ses connaissances et ses efforts à ceux de son ami G. Cuvier, qu’il avait fait appeler à Paris, il devient l’un des fondateurs de la classification naturelle des mammifères et des oiseaux.
L’enthousiasme qui l’enflamme pour la science, le désir immodéré de voir et d’apprendre lui font accepter l’honorable, mais pénible mission, qui le transporte en Égypte, vaste contrée qu’il parvient, au péril de sa vie, à explorer jusqu’au-delà des cataractes du Nil. Après des dangers et des obstacles qu’il surmonte avec courage, il a le bonheur de revenir en France pour enrichir sa patrie de ses observations curieuses et des objets les plus intéressants qu’il a recueillis lui-même, et dont il dispute énergiquement la possession aux Anglais qui avaient tenté de s’en emparer.
Aussitôt que l’Académie des sciences put admettre M. Geoffroy parmi ses membres, il vint y occuper la place qu’il a honorée pendant plus de trente ans, c’était en 1807, et peu de temps après il fut nommé professeur de zoologie à la Faculté des sciences, à son retour d’un voyage en Espagne et en Portugal, où il avait été envoyé par le gouvernement, dans l’intérêt de la science et des collections du muséum.
La liste de ses travaux est considérable : il a publié un grand nombre de dissertations sur les différents points de l’histoire naturelle ; la plupart sont consignées dans les mémoires de l’Institut, dans ceux du muséum, dans ses annales et dans le grand ouvrage sur l’Égypte. Son travail de prédilection, celui auquel il a toujours attaché un vif intérêt, parce qu’il contient ses vues, ses idées nouvelles sur l’organisation des animaux et sur les monstruosités, c’est le livre auquel il a donné le titre de Philosophie anatomique.
Comme ce n’est pas ici le lieu de juger le savant et de louer ses travaux, qu’il nous suffise de dire ou de répéter avec tous ceux qui ont connu M. Geoffroy : il fut un bon et obligeant ami, excellent et courageux citoyen ; il a su, par les douces qualités de son cœur aimant, obtenir et mériter le bonheur dont il a joui dans sa famille, recevant avec une tendre reconnaissance, dans sa trop longue et dernière maladie, les soins touchants et assidus d’une douce et tendre compagne[2] et de ses vertueuses filles[3], pouvant glorieusement se féliciter de laisser un fils[4], déjà depuis dix ans notre confrère à l’Institut, son successeur direct dans la chaire qu’il occupait au Muséum ; fils d’honorable dont le mérite, les talents et les travaux, justement appréciés, perpétuent dans la science, dans l’Académie et dans l’Université de France, un nom devenu illustre à tant de titres.
Notes
- ↑ Louis Jean Marie Daubenton.
- ↑ Pauline Brière de Mondétour.
- ↑ Stéphanie Geoffroy Saint-Hilaire. Il semble que la sœur jumelle de Stéphanie, Louise Anaïs, est décédée depuis 1830. Duméril associe peut-être la belle-fille, Louise Blacque.
- ↑ Isidore Geoffroy Saint-Hilaire.
Notice bibliographique
Extrait de La Gazette Médicale de Paris (1844)
In Hervé Le Guyader, Etienne Geoffroy Saint-Hilaire, 1998
Pour citer cette page
« 1844 - Discours d'André Marie Constant Duméril, à la mort d'Etienne Geoffroy Saint-Hilaire », Une correspondance familiale (D. Poublan et C. Dauphin eds.), URI: https://lettresfamiliales.ehess.fr/w/index.php?title=1844_-_Discours_d%27Andr%C3%A9_Marie_Constant_Dum%C3%A9ril,_%C3%A0_la_mort_d%27Etienne_Geoffroy_Saint-Hilaire&oldid=58073 (accédée le 10 octobre 2024).
D'autres formats de citation sont disponibles sur la page page dédiée.