Vendredi 9 septembre 1859
Lettre d’André Marie Constant Duméril (Vieux-Thann) à son fils Louis Daniel Constant (Paris)
Vieux-Thann Vendredi 9 7bre 1859
J'ai si brusquement été obligé de fermer ma lettre hier, que je n'ai pas eu le temps de te parler t’entenir à peine de mon séjour à Charleville et de parler un peu en détail de la famille avec laquelle j'ai pu faire une plus ample connaissance. Toutes ces petites filles[1] sont très intéressantes par les manières affectueuses dont elles sont entre elles et les petits soins auxquels chacune paraît s'être chargée de préférence. toutes s'occupent à l'envi de la dernière petite sœur et du petit garçon qui est fort et extraordinairement développé et avancé car il n'a guère que six mois[2]. Toutes sont blondes et ont la peau très blanche. La mère est véritablement charmante. elle nourrit préside à tout et s'occupe de chacun en particulier. c'est elle qui est l'âme active de la maison ; et ce n'est pas peu dire que de mener une pareille vie. Encore, pour le moment, c'est pour elle un intervalle de repos – car elle dirige toute la partie matérielle du pensionnat où elle préside à tous les détails de la vie intérieure de quarante élèves et avec un soin et une économie telle que pour la somme de cinq cents francs il faut faire face à toutes les dépenses de la vie animale, au blanchissage et à mille détails pour la tenue des dortoirs des sous-maîtres et domestiques qu'il faut nourrir et payer – trois femmes et un domestique homme. eh bien malgré cela il y a tant d'ordre et d'économie que toutes dépenses faites pour l'établissement et pour sa famille à laquelle, il est vrai, par cela même qu'il y a des maîtres d'agrément payés par les familles pour quelques-uns des élèves – M. Malard m'a avoué qu'il avait fait une réserve économique de 4 à 500 F. Toutes ces petites filles s'occupent de musique, de dessin dont les leçons sont presque gratuites, et j'ai su par Eléonore[3], que toute cette famille travaille et profite d'une manière étonnante que presque toutes sont adroites, laborieuses et fort instruites. Georges[4] est un jeune homme extrêmement avancé pour son âge. malheureusement il a pris dans la maison un certain empire qui est dû à ce qu'on s'en est beaucoup occupé ; et cette présomption, que je me suis permis de lui faire remarquer deux ou trois fois, ce qui sera peut-être pour lui une leçon à laquelle il aura été sensible et qui lui sera peut pourra être utile. d'ailleurs, il est véritablement fort instruit : il cause de tout avec des connaissances réelles, mais avec un ton si tranchant, que quand il se trompe et qu'on le lui fait remarquer, on voit bien qu'il n'est pas accoutumé à céder aux remontrances.
Thelcide est admirablement conservée : elle est charmante, d'une très bonne tenue on ne croirait jamais qu'elle soit la mère d'une si nombreuse famille, beaucoup de grâces dans les manières et ayant une ressemblance notable pour le Physique et la physionomie avec Octavie Raoul Duval[5], sauf la différence d'âge, car on ne lui donnerait pas plus de trente-six ans.
Ma belle-sœur[6] est véritablement en très bonne santé. Son teint et toute sa personne ont beaucoup gagné. Elle est fort active et elle a fait avec nous d'assez longues promenades sans fatigue. Eléonore a des cheveux presque blancs et très beaux, mais c'est une vieille fille. Madame Martin[7] est grasse et gracieuse : elle a dans les traits et toute la Physionomie beaucoup de rapports avec Eugénie[8] à laquelle elle ressemble beaucoup de profil. sa fille[9] sera bien elle est dans un âge ingrat sa figure est un peu longue et maigre, mais elle est grande et parfaitement prise dans sa taille. elle est fort timide et encore enfant quoiqu'elle soit la plus grande de toute cette famille réunie.
mais en voilà bien long sur Charleville et je vais maintenant vous parler de ce qui est autour de moi. D'abord de la petite dont la mère est si occupée[10]. Comparativement au petit garçon Malard, elle n'a guère que la moitié du volume total, et, quoique très vive et remuante elle un peu moins développée. Caroline la trouve moins colorée qu'à l'ordinaire, elle attribue sa pâleur à un rhume de cerveau qu'elle avait il y a trois jours et dont elle est tout à fait guérie. Elle a des yeux très beaux, grands et doux ; sa bouche est mignonne et bien faite lorsqu'elle sourit, ce qui lui arrive souvent, mais ses joues trop rebondies font rentrer le milieu du visage et chercher le nez et la fente de la bouche.
je n'ai pas trouvé à Léon[11] un meilleur visage, il a toujours un air triste et M. Charles[12] trouve qu'il aime trop à être isolé. hier j'ai eu deux ou trois fois occasion de le faire entrer un peu dans la conversation en lui faisant un reproche de ne faire qu'écouter quand il lui serait si facile de montrer ce qu'il sait dans quelque discussion sur des points de Physique ou de chimie sur lesquels il devait avoir une opinion ; alors il s'est mis à l'aise et a fort bien exprimé ses idées. j'en ai été content et je l'ai engagé à se montrer moins sauvage, il a toujours la manie de ne vouloir rien manger de ce qu'il appelle cru, ni melon, ni fruits et cependant il mange des poires cuites froides !
Dans l'excursion que nous allons faire en Suisse[13] où M. Charles nous accompagne et où il mènera son neveu Georges[14], qui est un gentil garçon de l'âge de Léon et qui s'occupe beaucoup de chimie, j'espère que je pourrai mettre Léon plus à l'aise et lui parler de sa manie, de manière à l'en corriger et à le faire revenir de ses craintes chimériques. Son beau-frère[15] est dans les mêmes intentions que moi. malheureusement Léon n'est pas assez communicatif et sa sœur lui en a fait déjà des reproches. il reste des matinées entières dans sa chambre à lire des Romans.
il est convenu que je partagerai en deux portions les huit jours que je dois passer ici. nous mettrons cinq à six jours à notre voyage en Suisse. je reviendrai ici passer quatre ou cinq jours avant de retourner près de vous. mes amitiés à ma sœur[16], à félicité[17] et à toi j'ai reçu de Charleville une lettre d'Auguste[18].
je crois que nous partirons Dimanche pour Bâle. il est convenu que nous ferons le voyage à frais communs.
Nous avons appris avec bien de la peine Caroline et moi cette mort si inopinée de cette intéressante mère de Famille, Mme Valenciennes[19].
Notes
- ↑ Hélène, Marie, Jeanne et Amélie, filles de Thelcide Duméril (nièce d’André Marie Constant Duméril) et d’André Malard qui dirige le collège de Charleville.
- ↑ Ce petit dernier n’est pas mentionné dans les généalogies.
- ↑ Eléonore Duméril, sœur de Thelcide.
- ↑ Georges Malardest le fils aîné, âgé d’environ 16 ans.
- ↑ Octavie Say, épouse de Charles Edmond Raoul-Duval.
- ↑ Catherine Schuermans, veuve de Florimond Duméril l’aîné.
- ↑ Félicité Duméril, épouse de Jules Martin, autre nièce d’André Marie Constant Duméril.
- ↑ Eugénie Duméril, épouse d’Auguste Duméril, fils d’André Marie Constant.
- ↑ Johanna Martin, dite Anna, née en 1846.
- ↑ Marie Mertzdorff, âgée de cinq mois est la fille de Caroline Duméril et de Charles Mertzdorff.
- ↑ Léon Duméril, frère de Caroline.
- ↑ Charles Mertzdorff.
- ↑ Voir le récit de ce voyage en Suisse.
- ↑ Georges Léon Heuchel, fils de Georges Heuchel et d’Elisabeth Schirmer, est alors âgé de 19 ans.
- ↑ Charles Mertzdorff.
- ↑ Sa belle-sœur Alexandrine Cumont, veuve d’Auguste Duméril l’aîné.
- ↑ Félicité Duméril, épouse de Louis Daniel Constant Duméril.
- ↑ Auguste Duméril, l’autre fils d’André Marie Constant Duméril.
- ↑ Alphonsine Anna Caroline Louise Gottis, épouse d’Achille Valenciennes.
Notice bibliographique
D’après l’original.
Pour citer cette page
« Vendredi 9 septembre 1859. Lettre d’André Marie Constant Duméril (Vieux-Thann) à son fils Louis Daniel Constant (Paris) », Une correspondance familiale (D. Poublan et C. Dauphin eds.), https://lettresfamiliales.ehess.fr/w/index.php?title=Vendredi_9_septembre_1859&oldid=57887 (accédée le 10 octobre 2024).
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