Vendredi 3 et samedi 4 octobre 1862

De Une correspondance familiale

Lettre d’Eugénie Desnoyers (Honfleur) à sa sœur Aglaé, épouse Milne-Edwards (en voyage de noce en Suisse)


Honfleur

3 8bre 62

Ma chère petite Gla,

deux lignes seulement pour te dire combien je pense à toi et combien je t'aime ma petite sœur. Voilà une phrase que je pourrais allonger, mais elle renferme à elle toute seule tout ce que je sens, et les explications que je pourrais mettre à la suite ont été comprises de toi ; ton cœur me connait, tu sais que je dis vrai. Nos lettres se sont croisées ; merci pour la tienne, elle m'a fait grand plaisir. Tu devines combien tout m'intéresse. Le lac a toute ton admiration mais comment feras-tu pour vivre sans sa vue. Voici un petit clair de lune qui plaira à je sais bien qui. Dis si je me trompe.

Aujourd'hui nous nous reposons, maman[1] a mal à la tête et papa est allé seul casser des pierres ; nous avons sous nos fenêtres l'arrivée des bateaux et nous nous sommes contentés de cette distraction, car depuis que nous sommes ici nous avons déjà parcouru le pays dans tous les sens et nous ne sommes pas reposés du tout, mais nous allons tous bien ; tu sais le mal de tête de maman est plutôt une migraine, dans quelques heures elle ne souffrira plus.

Hier nous avons loué une voiture pour la journée et nous sommes allés à Villerville, Trouville en suivant la côte en partie. La course a été charmante. Nous avons rapporté force richesses pour notre aquarium, car vous saurez, Madame, que nous avons entrepris de conserver des petites bêtes ; je ne sais si nous réussirons, mon associé[2] déploie beaucoup de zèle et paie non seulement de sa personne, en s'établissement pourvoyeur d'eau salée, mais en ouvrant les cordons de sa bourse. Que M. Alphonse[3] nous donne les renseignements sur la nourriture à donner aux crabes et aux anémones. Que c'est commode d'avoir un beau-frère savant, de suite on l'exploite. Mais tandis que je cause avec toi, j'oublie que Julien vient de rapporter une bouteille d'eau de mer et que lui et ses petites bêtes m'attendent. à tout à l'heure.

Samedi 4 Octobre-

Comment peux-tu supposer, ma petite Gla chérie, que nous soyons restés sans t'écrire. Est-ce que tu n'as pas compris que nos pensées vous suivaient et que sitôt vos lettres reçues notre première occupation a été de vous écrire, de te dire à toi, ma petite sœur, que nous t'aimerions toujours, que nous serions heureux de tes joies, que ton cher mari aurait toute notre affection et puis tes bonnes lettres me font tant de bien, je suis si contente de les trouver telles que je les souhaitais que je veux t'en remercier ; et si tu veux continuer à m'écrire ainsi longuement et souvent mon plus grand plaisir, durant ton absence, sera notre correspondance et je te promets de mon côté d'être exacte.

Maintenant, mes chers Amis, j'espère que vous serez retournés à Montreux et qu'on vous aura remis nos lettres ; vous devez en réclamer trois. Une de Maman et moi écrite Samedi à 6 h du soir à notre arrivée au Jardin et qui a été mis à la poste au chemin de fer de Lyon. Une 2de de Papa écrite le Dimanche au moment de notre départ et enfin la 3e de ta très humble servante griffonnée le Lundi et le Mardi et qui est partie Mercredi matin de Honfleur toutes avaient pour adresse : Madame Alphonse Milne Edwards à Montreux (bureau restant) Canton de Vaud Suisse, exceptée celle de papa sur laquelle on avait oublié le bureau restant.

J'espère maintenant que tu ne crois plus je ne sais pas quoi, et que tu as toujours confiance en notre vieille amitié qui ne te fera jamais défaut, ma chérie, sois-en sûre.

Nous voici bientôt au terme de notre petite excursion, nous serons Mardi soir à Paris. Julien reprendra ses travaux et maman et moi nous rentrerons dans le calme plat...

Demain nous nous paierons un bon petit mal de mer mais ça aura un double but agréable ; faire voir à Julien le Havre et éviter Lisieux. Si tu écris à quelqu'un de la famille nous sommes sur les côtes sans explication.

Hier nous avons eu un temps désagréable cependant je n'en ai pas moins fait le tour des bassins au bras de notre jeune frère. Maman a permis que je sorte avec lui à Honfleur ; ce qui l'enchante (le jeune garçon). Nous allons deux fois par jour réclamer tes lettres !...

Oh ! désespoir ! Nous devons renoncer à notre aquarium ! Cette nuit nous avons manqué d'être asphyxiées maman et moi (car nous avons pris comme toujours 3 chambres dont une à 2 lits et cette dernière est pour la bonne mère et la sœur) Malgré tous nos soins les petites bêtes paraissent regretter tant et tant la plage qu'elles se laissent mourir.

Adieu, ma chère Gla, reçois les meilleurs baisers de père, mère, frère et sœurs (je me croyais encore 2) et partage avec Alphonse nos bien tendres amitiés

sœur amie

Eugénie

Julien va très bien ; il ne tousse plus. Maman est mieux aujourd'hui. Encore de bonnes caresses. Ecris-nous au Jardin

Merci pour la jolie petite fougère, Je la garderai ; c'est un souvenir de tes premières promenades et la preuve que tu ne m'as pas oubliée.


Notes

  1. Jeanne Target, épouse de Jules Desnoyers, membre fondateur de la Société géologique de France.
  2. Julien Desnoyers, jeune frère des correspondantes.
  3. Alphonse Milne-Edwards, mari d’Aglaé, naturaliste.

Notice bibliographique

D’après l’original

Pour citer cette page

« Vendredi 3 et samedi 4 octobre 1862. Lettre d’Eugénie Desnoyers (Honfleur) à sa sœur Aglaé, épouse Milne-Edwards (en voyage de noce en Suisse) », Une correspondance familiale (D. Poublan et C. Dauphin eds.), https://lettresfamiliales.ehess.fr/w/index.php?title=Vendredi_3_et_samedi_4_octobre_1862&oldid=36002 (accédée le 15 novembre 2024).

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