Lundi 29 et mardi 30 septembre 1862
Lettre d’Eugénie Desnoyers (Honfleur) à sa sœur Aglaé, épouse Milne-Edwards (en voyage de noce en Suisse)
Honfleur
29 7bre 1862
midi
C'est de la côte de Grâce, ma chère petite Gla, que je t'écris, car, maintenant que je dois avoir recours au papier et à l'encre pour causer avec toi, tu comprends que je me ferai toujours suivre de ces chers instruments qui peuvent seuls nous rapprocher et que de partout je t'adresserai quelques griffonnage.
Vos lettres nous font un bien grand plaisir, mais tu l'as deviné, ma Chérie, et je ne t'en dirai pas davantage sur ce sujet ; je ne veux rien demander ; tu sais ce que tu éprouverais en pareille circonstance ; tout ce dont je puis t'assurer c'est que ma vieille et tendre affection sera toujours la même pour toi et que je serai toujours heureuse d'entendre le récit de ton bonheur. Je te vois d'ici au bras de ton mari[1] et, sauf votre respect, je ne peux pas m'empêcher de rire en pensant que tu es Madame et que tu es partie comme ça sans papa ni maman[2] courir le monde... Il n'y a que 4 jours que nous nous sommes quittées et il me semble que nous aurions déjà tant de choses à nous conter et cependant je ne comprends pas bien que tu voies des choses que je ne vois pas, et que je sois là où tu n'es pas. La chose est naturelle il faudra un certain temps pour nous habituer à comprendre que nos intérêts et nos plus chères affections ne sont plus les mêmes en ce moment. Mais cela viendra puisque ici maman et moi sommes très raisonnables ; tu serais contente de nous. Que le bon Dieu ne nous abandonne pas ; il a été bon pour nous tous en faisant votre bonheur ; que sa Providence en soit bénie
Ma causerie a été interrompue par le départ et maintenant c'est de l'hôtel du cheval blanc, en face de la mer, que je t'écris. Nous avons trouvé très bien à nous caser et nous pensons partager nos 8 ou 10 jours de vacance entre les différents petits ports de mer voisins tout en conservant Honfleur pour centre de nos opérations. Aujourd'hui nous avons fait une délicieuse promenade à la côte de Grâce (à la Chapelle j'ai acheté une toute petite médaille ; devine dans quelle intention, je ne te la dirai pas.) La végétation est magnifique, le temps fort doux et je crois que nous pourrons passer ici quelques jours très agréablement et que ce petit séjour hors de nos habitudes nous fera du bien dans les circonstances présentes.
Julien[3] est ravi de la mer, il a déjà ramassé 2 crabes vivants etc., fait des ricochets dans les vagues, creusé des précipices ; nous espérons que le grand air fera du bien à ce cher enfant. Je ne saurais te dire combien nos 2 frères[4] ont été charmants pour moi après ton départ. Alfred est parti Samedi soir, cette séparation a encore été dure pour notre bonne mère ; mais l'égoïsme est si loin d'elle, qu'elle ne se plaint jamais. Que de beaux exemples elle nous donne en tout. Le petit frère s'est institué mon fidèle chevalier ; c'est vraiment touchant de voir la manière simple et délicate dont il voudrait, pour moi, faire disparaître ton absence. Tu vois, ma petite sœur chérie, que tu peux jouir de tout ton bonheur avec calme, je pense à toi et suis là pour me réjouir de tes joies et partager tout ce qui t'occupe et comme je l'ai fait pour ma pauvre Caroline[5].
Mardi matin
Encore un petit bonjour ce matin, ma petite Gla ; la nuit et l’heure du dîner ne m’ont pas permis de continuer hier soir mon bavardage. Tu vois que si tu as été quelques jours sans recevoir de nos nouvelles ce n’est pas faute d’avoir pensé à toi, à vous je veux dire car maintenant vous ne faites plus qu’un dans nos affections et nous comptons sur la petite femme pour dire des choses bien amicales au mari de la part de père, mère, frère et sœurs.
Papa vous a écrit Dimanche matin du chemin de fer, il a oublié de mettre sur l’adresse bureau restant ; mais nous espérons que ce ne sera pas une difficulté et qu’on vous la remettra (elle est adressée à Mme).
Nous sommes un peu fatigués de notre grande course d’hier, pour ne pas dire des jours précédents car nous avons eu bien à faire avant de quitter Paris, rangements et paiements &&
J’attends la lettre promise ; tu devines que tout m’intéresse et qu’une bonne causerie bien détaillée me fera le plus grand plaisir. Je suis nommée conservatrice des manuscrits venants de toi ; tu vois que tu peux écrire en toute sécurité.
Samedi nous avons vu tes belles-sœurs[6], j’ai porté un bouquet à Cécile et lui ai demandé des cartes, celle pour Mme Boulez[7] est partie puis je lui ai fait remettre (en paquet) ta vieille cage blanche, ta ceinture de barège et ton manteau garni d’Astrakan, le zouave n’est pas fini. Si tu désires ces objets fais-les demander à Cécile. T’ai-je dit combien M. Edwards[8] a été charmant avec ta sœur après ton départ ; je suis sûre que tu lui en es reconnaissante. Adieu, ma Mie chérie, reçois des baisers bien tendres de ton affectionnée
Eugénie D.
Pardon de tout ce griffonnage mais Julien attend pour porter < > bureau.
Notes
- ↑ Alphonse Milne-Edwards.
- ↑ Jules Desnoyers et son épouse Jeanne Target.
- ↑ Julien Desnoyers, jeune frère d’Eugénie et Aglaé.
- ↑ Julien et Alfred Desnoyers.
- ↑ Caroline Duméril, épouse de Charles Mertzdorff, décédée le 7 juillet.
- ↑ Cécile Milne-Edwards et sa sœur Louise, épouse de Daniel Pavet de Courteille.
- ↑ Louise Elisabeth Morizot, veuve de Léonard Boulez.
- ↑ Henri Milne-Edwards, père d’Alphonse.
Notice bibliographique
D’après l’original
Pour citer cette page
« Lundi 29 et mardi 30 septembre 1862. Lettre d’Eugénie Desnoyers (Honfleur) à sa sœur Aglaé, épouse Milne-Edwards (en voyage de noce en Suisse) », Une correspondance familiale (D. Poublan et C. Dauphin eds.), https://lettresfamiliales.ehess.fr/w/index.php?title=Lundi_29_et_mardi_30_septembre_1862&oldid=40499 (accédée le 18 décembre 2024).
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