Vendredi 31 juillet et samedi 1er août 1868
Lettre d’Eugénie Desnoyers (Villers-sur-mer) à son époux Charles Mertzdorff (Vieux-Thann)
Vendredi soir
C’est encore moi, mon cher Charles, toujours moi ; tu me fais tant de plaisir en m’écrivant tous les jours que je ne veux pas, de mon côté, te laisser manquer de nouvelles.
Tes quelques lignes de ce soir m’ont rassurée tout à fait ; tu vas bien, voilà l’important, maintenant ne fais plus d’imprudence et prends ton temps pour manger. Tu sais que l’homme est une intelligence servie par des organes, mais ces organes parlent très haut quand on ne veut pas les écouter, les exigences de la bête et l’autre, quoique plus noble s’en ressent terriblement et perd beaucoup de son empire, aussi, avis au lecteur.
Le beau temps est complètement revenu, le clair de lune est magnifique, on se promène tout le jour, les enfants[2] dorment sans se réveiller, et on en est venu à ce point d’ogre qu’il faut donner à manger toutes les deux heures !
Mais tu ne saurais croire comme il m’est désagréable de jouir de cette vie de repos du bord de la mer, sans toi ; il me semble que ce bon air, ces bains, sous la vague, te feraient tant de bien ; enfin il faut se résigner encore quelques jours et puis j’espère que tu verras le trou par lequel t’échapper pour venir nous retrouver. Je vois par tes lettres que tu emploies bien ton temps. Les choses publiques viennent se mêler aux particulières et je comprends que tu oublies tes invités pour te donner tout entier aux affaires. Ce soir tu as conseil municipal, hier matin orphelinat, puis nos écoles, beaucoup de choses qui m’intéressent.
Julien[3] nous a quittés à <11h> pour Lisieux et rentrer cette nuit à Paris, où maman[4] est revenue pour être avec lui ces jours-ci.
Je ne sais pas ce que fera Julien après le 3 août, s’il ira chez Alfred[5] ou si on nous le renverra, ces 8 jours lui ont fait tant de bien que nous voudrions qu’il revînt encore prendre quelques bains. M. Edwards[6], Mme Dumas[7] et Noël[8] nous arrivent demain, et peut-être Camille Trézel[9] pour 3 jours. Nous avons retenu 4 chambres dans une maison particulière où on se charge du ménage et du café du matin et pour les autres repas ils viendront les prendre avec nous. Tu vois, mon chéri, que par cet arrangement, il te reste au chalet ton lit, c’est le moins. J’ai encore ma petite Mie pour compagne de dodo, elle n’a pas voulu profiter de la chambre de Julien et je n’aurai que demain l’autre lit. Nous ne nous gênons pas du tout, elle est si contente !
T’ai-je dit qu’hier à 5h j’avais pris un bain, je n’ai trouvé cela qu’à moitié bon ; je n’ai pas recommencé aujourd’hui ce sera pour demain ; mais je n’en ai pas besoin car on me fait toujours compliment sur ma mine. L’oncle Alphonse[10] s’en donne ici ! il dort depuis une heure.
Aujourd’hui les bains se sont pris de bonne heure et nous avons fait un tour aux Vaches noires ; nous avons rapporté fossiles et crabes, les premiers pour Vieux-Thann et les seconds ont été cuits et mangés par les amateurs.
Beaucoup de personnes sont parties aujourd’hui, il en arrivait déjà ce soir d’autres.
Bonsoir, cher ami, dors bien, fais de bons rêves et conserve à tes trois petites amies cette affection qui fait leur bonheur.
Toute à toi
Eugénie M.
Mon entourage me chargerait (s’il ne dormait pas) de mille bonnes amitiés pour toi. Nous parlons souvent de toi comme bien tu penses.
Samedi matin
A 1h un grand bruit retentissait autour du chalet et enfin la voix qui appelait Alphonse a été reconnue. C’était M. Edwards qui sans prévenir nous arrivait et n’ayant pas pu trouver un lit à l’hôtel venait nous demander l’hospitalité. Heureusement, comme a dit Mimi en l’entendant, que j’ai préféré coucher avec toi, car qu’auriez-vous fait ?
Tu vois que c’est pour le mieux dans le meilleur des mondes ; mais ce n’est que pour cette nuit. Nous allons lui indiquer, au réveil, les chambres retenues. Il fait un temps magnifique, tes petits enfants vont bien et nous t’embrassons tous bien fort. Il me semble que maintenant que nous allons avoir quelques personnes étrangères, j’aurai encore plus besoin de tes lettres.
ta petite femme
Eugénie M.
Mille choses à Oncle et Tante Georges[11] et grands-parents Duméril[12], peut-être les auras-tu demain.
Notes
- ↑ Eugénie écrit août au lieu de juillet.
- ↑ Marie (Mie, Mimi) et Emilie Mertzdorff.
- ↑ Julien Desnoyers.
- ↑ Jeanne Target, épouse de Jules Desnoyers, revient de Montmorency.
- ↑ Alfred Desnoyers, frère de Julien.
- ↑ Henri Milne-Edwards.
- ↑ Céciel Milne-Edwards, épouse d’Ernest Charles Jean Baptiste Dumas.
- ↑ Noël Dumas.
- ↑ Antoine Camille Trézel.
- ↑ Alphonse Milne-Edwards.
- ↑ Georges Heuchel et son épouse Elisabeth Schirmer.
- ↑ Félicité Duméril et son époux Louis Daniel Constant Duméril.
Notice bibliographique
D’après l’original.
Pour citer cette page
« Vendredi 31 juillet et samedi 1er août 1868. Lettre d’Eugénie Desnoyers (Villers-sur-mer) à son époux Charles Mertzdorff (Vieux-Thann) », Une correspondance familiale (D. Poublan et C. Dauphin eds.), https://lettresfamiliales.ehess.fr/w/index.php?title=Vendredi_31_juillet_et_samedi_1er_ao%C3%BBt_1868&oldid=51677 (accédée le 13 octobre 2024).
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