Vendredi 28 août 1846

De Une correspondance familiale


Lettre d’Auguste Duméril (Lille) à sa mère Alphonsine Delaroche, épouse d'André Marie Constant Duméril (Paris)


d’André Auguste Duméril

Lille 28 Août 1846. Vendredi 3 heures.

J’ai pris ma bonne part, ma chère et bonne maman, de l’aimable lettre que tu as écrite à Eugénie[1], et qu’elle a eu le plaisir de recevoir de toi ce matin. Elle est en courses et en visites aujourd’hui, et je ne pense pas qu’elle ait le temps de se joindre à moi, pour t’écrire, mais tu sais que nos pensées sont communes, et je ne doute pas que tu ne regardes comme écrite en quelque sorte par nous deux, une lettre que je t’adresse. Les soins que réclame Adèle, la nécessité de voir différentes personnes, dans la ville, et le désir de passer le plus de temps possible avec ses cousines, font à Eugénie une vie très remplie, et fort heureuse. Je jouis beaucoup de la satisfaction qu’elle éprouve, à se trouver au milieu des siens, où on lui fait l’accueil le plus affectueux, et où, ce qui me fait grand plaisir, on lui trouve une mine excellente. Elle se porte, en effet, très bien, ainsi que cette gentille petite Adèle, qui est si aimée et si choyée. Elle se trouve bien de son nouveau genre de vie qui est différente, pour le régime, en ce qu’elle ne prend plus de lait, soit en biberon, soit en soupe, qu’elle remplace par de la viande : elle ne mange pas de légumes, mais montre un goût prononcé pour la confiture, et les biscuits à la cuiller. Tu sauras avec plaisir que la grande affaire de la garde-robe va bien, ce qui est très heureux. Elle dort toujours à peu près à la même heure du jour qu’à Paris : son coucher du soir ne dépasse pas l’heure ordinaire. Elle dort, en général, bien, la nuit : celle-ci cependant a été un peu moins bonne que les précédentes, sans avoir été pour cela précisément, mauvaise. Elle a pris un bain mardi, en prendra un autre demain, ainsi tu vois que nous la laissons le plus possible dans ses habitudes. Sa dent n’est pas encore percée. Voilà bien des détails, mais je sais que les bonnes-mamans[2] les liront avec intérêt. Quant à son intelligence, elle continue à se développer d’une manière heureuse. Ce matin, dans notre lit, où elle attendait l’arrivée de sa bonne, et où je lui parlais de toutes les personnes et de toutes les choses qu’elle a laissées à Paris, je lui passais en revue tous les objets de son panier à joujoux, elle a eu bien soin alors de me parler du chat qui tient la souris, qui veut se sauver, et du petit cerf, qui est dans la même boîte, en disant toujours : « Il est cassé. » Il y a ici une armoire, où se trouve des jouets : elle sait très bien l’ouvrir, s’asseoir par terre, et tout sortir du panier. Ma tante Fidéline[3] a une vraie passion pour elle.

On est ici dans la joie de l’arrivée de Caroline et de Léon[4], et demain, quand tu recevras cette lettre, nous serons bien près de nous mettre en route, avec Adèle et les jeunes gens de la maison, pour aller à la station du chemin de fer, distante d’un grand ¼ de lieue de la ville, pour recevoir les nouveaux arrivants, qui, je crois, seront aussi contents de se trouver ici.

Il est triste qu’il ne puisse pas y avoir réunion d’un côté, sans qu’il y ait séparation de l’autre ; mais heureusement, l’absence des habitants de la rue St Victor ne sera que de courte durée. Je vois d’ici la joie de Léon, d’embrasser sa chère Lala.

Notre journée de mercredi, à la campagne de M. Valery[5], s’est parfaitement passée, par un temps magnifique, qui se maintient : après un très joli déjeuner à midi, nous nous sommes promenés dans les environs, qui sont très agréables. Nous sommes revenus dîner chez M. Le Thierry[6], à 5 heures ½ : ce dîner a été agréable. Adèle s’est retrouvée avec les enfants de Mme Virnot[7], qui ont été pleins d’attentions pour elle, comme la veille, chez leur mère. Je me suis trouvé, chez Mme Virnot, et, le lendemain, chez M. Le Thierry, avec un M. François Barrois[8], que mon oncle[9], dont il a été, je crois, le collègue, au conseil municipal, connaît bien. C’est un homme instruit et aimable, avec lequel j’ai eu plaisir à causer, car il paraît être un homme distingué, tandis que M. Le Thierry, mais surtout M. Virnot, sont beaucoup plus ordinaires. Il m’a fait la très aimable proposition de m’inscrire au cercle du commerce, où on lit tous les journaux. Je suis allé aujourd’hui chez lui, pour le remercier.

Nous avons dîné hier chez Joseph Fabre, avec M. et Mme Van Blarenberghe[10], Jules Lecreux, et un autre jeune homme. Cette réunion a été agréable. Nous y déjeunerons dimanche, Constant[11] et moi. Aujourd’hui, nous dînons chez Clara Béghin, où Eugénie va me précéder, afin d’être un peu avec son amie. Je m’aperçois, ma chère maman, que mes lettres sont toujours très personnelles ; que je te parle beaucoup plus de moi que de vous ; mais c’est que je pense qu’il y a peut-être quelque intérêt, pour vous, à nous suivre dans notre vie Lilloise. J’espère que tu te sens tout à fait bien, et je ne puis pas croire que l’heureux voyage que nous avons fait et qu’Edouard[12] vient de faire, ne te laissent pas l’esprit parfaitement tranquille, sur l’issue du voyage[13].

Adieu, ma chère maman, reçois, avec papa[14], et avec mon oncle et ma tante[15], l’expression de mes sentiments très affectueux, et de ceux, non moins vifs, d’Eugénie.

Ton affectionné fils

A Aug Duméril

L’état de Charles[16] continue à être assez satisfaisant. Je suis allé voir M. Murville. J’ai vu, l’autre jour, le malade, avec lui, et je serai bien en état maintenant de dire à papa ce que j’en pense.


Notes

  1. Eugénie Duméril, épouse d’Auguste et mère d’Adèle, née en 1844.
  2. Alphonsine Delaroche, épouse d’André Marie Constant Duméril, et Alexandrine Cumont, épouse d’Auguste Duméril (l’aîné), qui habitent alors à Paris.
  3. Fidéline Cumont, épouse de Théophile (Charles) Vasseur.
  4. Caroline et Léon Duméril, enfants de Louis Daniel Constant et Félicité Duméril, qui habitent ruesaint Victor à Paris.
  5. Valéry Cumont.
  6. Probablement Adolphe Joseph Le Thierry, père de « Mme Virnot ».
  7. Adèle Catherine Le Thierry, épouse de Victor Dominique Virnot, mère d’Urbain Dominique (né en 1837) et Julie Jeanne (née en 1839).
  8. Probablement François Alexandre Barrois.
  9. Auguste Duméril (l’aîné).
  10. Les parents d’Alexandra van Blarenberghe, épouse de Joseph Auguste Fabre : Alexandre Charles et Diane Hélène van Blarenberghe.
  11. Louis Daniel Constant Duméril, frère d’Auguste.
  12. Edouard Vasseur.
  13. Voir l’allusion à un accident de chemin de fer dans la lettre du 25 août.
  14. André Marie Constant Duméril.
  15. Auguste Duméril (l’aîné) et son épouse Alexandrine Cumont.
  16. Charles Declercq.

Notice bibliographique

D’après le livre de copies : Lettres de Monsieur Auguste Duméril, 2ème volume, « Voyage à Lille, à l’époque du mariage d’Eléonore, et en Belgique. Détails sur la dysenterie d’Adèle. 1846 », p. 425-430

Pour citer cette page

« Vendredi 28 août 1846. Lettre d’Auguste Duméril (Lille) à sa mère Alphonsine Delaroche (Paris) », Une correspondance familiale (D. Poublan et C. Dauphin eds.), https://lettresfamiliales.ehess.fr/w/index.php?title=Vendredi_28_ao%C3%BBt_1846&oldid=57793 (accédée le 18 décembre 2024).

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