Vendredi 22 avril 1881 (B)

De Une correspondance familiale

Lettre d’Émilie Mertzdorff (Launay près de Nogent-le-Rotrou) à son père Charles Mertzdorff (Vieux-Thann)

original de la lettre 1881-04-22B pages 1-4.jpg original de la lettre 1881-01-22B pages 2-3.jpg


22 Avril 1881

Mon cher papa,

J’ai si envie en ce moment de faire des bêtises que j’ai bien peur de ne pas t’écrire autre chose. Tu n’en seras hélas ! pas surpris et tu pourras te dire, en lisant ma lettre que l’âge n’a pas encore changé ta pauvre fille. Je suis très jolie en ce moment ; j’ai une espèce de coup de soleil sur les joues qui me rend rouge et luisante comme une pomme d’api bien mûre et j’en ai un autre encore plus soigné sur les mains. Si je suis dans cet état, c’est moins la faute du soleil que celle du vent. Il faisait si froid ces jours derniers malgré le beau temps que, pour jouer, nous nous mettions en plein soleil en mettant un fichu de tricot sur notre tête en guise de chapeau. Il paraît qu’avant-hier il a un peu gelé pendant la nuit, ce qui ne m’étonnerait pas car le matin lorsque nous sommes sortis pour cueillir des fleurs à envoyer à Paris, nous avions l’onglée comme en plein hiver ; aujourd’hui au contraire le temps s’est bien radouci et nous avons les fenêtres ouvertes. Je crois t’avoir déjà écrit[1] que nous avions passé une matinée à arranger le salon, depuis ce temps-là nous y allumons du feu afin de le bien sécher et c’est là que nous passons nos soirées. Nous lisons un roman de Dickens très amusant, la famille Caxton[2], ce qui fait passer les soirées trop vite. Le temps file avec la rapidité de l’éclair et nous pensons avec chagrin que nous n’avons même plus quatre jours à passer ici. Nous avons fait de grands progrès dans les différents jeux que nous avons apportés. Hier matin nous avons fait une partie de boule des plus disputées et par extraordinaire c’est moi qui l’ai gagnée ; cependant d’habitude je n’excelle pas, c’est Marthe[3] la plus forte au croquet et oncle dans tous les autres jeux.

Nous avons eu il y a deux jours la visite de M. Bureau[4] qui est venu passer les vacances de Pâques avec toute sa famille dans la propriété de sa belle-mère[5] tout près de Nogent mais de l’autre côté de la ville, près de l’église Saint-Laurent. Il est venu avec deux de ses fils[6], sa femme[7] était restée à garder sa fille[8] qui a depuis plusieurs jours des crampes d’estomac des plus violentes. Je ne sais pas si nous irons les voir, c’est un peu loin à faire à pied, il paraît qu’on compte 1h1/2.

C’est Lundi soir, par le train de 8h que nous partirons ; nous devions quitter seulement Mardi à midi, mais Marthe a un cours le matin et tante[9] trouve que pour quelques heures il vaut mieux ne pas le manquer.

J’espérais un peu avoir une lettre de toi ce matin, car voilà huit jours que je n’ai eu de tes nouvelles et Marie[10] n’a naturellement pas pu me communiquer celles qu’elle aura reçues depuis. Je trouve cela bien long et j’attends avec impatience un petit mot de toi, c’est si agréable de recevoir des lettres des personnes qu’on aime et auxquelles on pense toujours quand on est loin d’elles.

Adieu mon papa chéri, je t’embrasse le plus fort que je peux et je te tends mes pommes d’api pour que tu les embrasses. J’envoie aussi toutes mes tendresses à bon-papa et à bonne-maman[11] que je me réjouis bien de voir dans quelques jours. Quand partiront-ils ?
Ta fille Émilie


Notes

  1. Lettre du 20 avril.
  2. La Famille Caxton est un roman d'Edward Bulwer Lytton (1803-1873). Il semble qu'il ait d'abord paru en feuilleton dans la Revue Britannique, sans nom d'auteur, et alors attribué parfois à Charles Dickens. Plusieurs traductions françaises suivent, dont celle d'Amédée Pichot (1795-1877) en 1853.
  3. Marthe Pavet de Courteille.
  4. Édouard Bureau.
  5. Élisabeth Joséphine Réquédat épouse d’Adolphe Decroix.
  6. Édouard Bureau a quatre fils : Maurice, Joseph, Marcel et Hippolyte Bureau.
  7. Marie Decroix.
  8. Louise Bureau.
  9. Aglaé Desnoyers, épouse d’Alphonse Milne-Edwards.
  10. Marie Mertzdorff-de Fréville, sœur d’Émilie, restée à Paris.
  11. Louis Daniel Constant Duméril et son épouse Félicité Duméril.

Notice bibliographique

D’après l’original

Pour citer cette page

« Vendredi 22 avril 1881 (B). Lettre d’Émilie Mertzdorff (Launay près de Nogent-le-Rotrou) à son père Charles Mertzdorff (Vieux-Thann) », Une correspondance familiale (D. Poublan et C. Dauphin eds.), https://lettresfamiliales.ehess.fr/w/index.php?title=Vendredi_22_avril_1881_(B)&oldid=35894 (accédée le 7 octobre 2024).

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