Vendredi 18 septembre 1846

De Une correspondance familiale

Lettre d’Alphonsine Delaroche (Paris) à son fils Auguste Duméril (Mannheim)


de Mme Constant Duméril.

Reçu le lundi 21, à Mannheim.

Vendredi 18 Septembre 1846.

Eugénie[1] vient de recevoir ta bonne lettre, datée d’Aix-la-Chapelle, mon cher Auguste, et elle avait besoin de cela, car ayant positivement compté hier recevoir de tes nouvelles, d’après le moment où tu lui avais dit que tu écrirais ta première lettre, ne voyant point arriver cette missive, elle en a éprouvée une grande tristesse : les dangers des voyages, tu sais, viennent tout de suite à l’esprit, lorsque les nouvelles attendues n’arrivent pas. Elle a dîné chez Constant[2] où on l’a raisonnée, et, peu à peu, ses idées se sont calmées : elle a passé une assez bonne nuit, et aujourd’hui, elle était résignée, en pensant que, n’ayant pas eu le temps de mettre ta lettre, toi-même, à la poste, elle n’y aurait pas été mise, par la personne que tu en avais chargé. Ce qui vient d’arriver prouve qu’il ne faut jamais dire j’écrirai certainement ce jour-là. Par l’épître du lendemain de l’arrivée d’Eugénie, tu as vu quel guignon terrible elle a éprouvé, par la non réception des deux lettres, que tu m’avais écrites, et qui me sont arrivées tranquillement le lendemain. Je ne puis te dire la cruelle émotion que j’ai éprouvée, quand nous avons reconnu que c’était ta femme, qui était à la porte de la rue, où elle ne pouvait se faire entendre. J’ai cru notre chère petite Adèle bien plus malade, puisqu’on la ramenait, et tu juges de mon trouble. Enfin, sa petite mine calme, son maintien ferme, sur le bras de sa bonne[3], m’ont bien vite rassurée ; mais quelle vive contrariété, en pensant qu’Eugénie n’avait trouvé personne, à son arrivée, et avait été obligée de se tirer d’affaire, ainsi, toute seule : elle a mis à tout cela de la tête et du courage, et sa santé n’en n’a pas reçu de choc. Elle me recommande de te dire que la dent de ta fille est percée, ce qui la rend bien heureuse, et ne te fera pas de peine : ses selles sont moulées, et n’ont plus de sang. Elle me charge de te dire aussi, qu’elle n’a pas réfléchi que tu dois revenir par Strasbourg, quand elle t’a parlé de vous rejoindre à Creil. Nous nous réjouissons ensemble de ce que tu as trouvé un aimable compagnon de voyage[4] : puisque vous paraissez vous convenir, nous faisons des vœux pour qu’il fasse tout le voyage avec toi.

Nous avons eu le plaisir de faire la connaissance de M. Fröhlich : lui et sa femme[5] sont venus passer quelques jours à Paris : mardi, ils nous ont fait une aimable visite, et ce même jour, nous avons dîné avec eux chez Constant. Ce dîner s’est parfaitement bien passé. J’ai eu bien du plaisir à revoir l’agréable, et si bonne amie de mes filles[6], qui nous porte aussi de l’affection, que nous lui rendons bien : son mari nous plaît beaucoup : lorsqu’il parle, il y a dans sa physionomie quelque chose de très agréable et de bon, et l’on voit bien un homme très comme il faut, et dont la tête est très pensante. Hier soir jeudi, nous avons eu, de ce nouveau ménage, une visite, dont nous lui avons su grand gré ; nous avions la famille de Tarlé (de retour, depuis peu de jours de Louviers), Mme Dunoyer[7], et Constant et Félicité.

Alfred[8], comme je pense que tu le sais, est nommé le premier, à l’agrégation d’histoire, à l’Ecole normale : il paraît bien heureux de son succès, qui lui donne droit à une chaire d’histoire, dans un collège important, mais tu ne te fais pas d’idée à quel point il est maigri, et paraît fatigué : il a eu, pendant quelque temps, des palpitations nerveuses, qui lui ont été pénibles, et l’ont un peu inquiété, je crois ; mais il a une belle récompense, d’un travail certainement forcé.

M. Malard n’a pas, comme lui, de quoi avoir du contentement : il a les plus grandes craintes de ne pouvoir rien obtenir à St Omer. Ton père[9] vient d’écrire aujourd’hui à mon frère[10], pour lui exposer la position de notre pauvre parent et le prier fortement d’écrire à M. Salvandy[11], pour cette affaire-là.

Je suis très pressée par l’heure. Mets toujours tes lettres toi-même à la poste.

Je t’embrasse tendrement.


Notes

  1. Eugénie Duméril, épouse d’Auguste, mère d’Adèle (née en 1844).
  2. Louis Daniel Constant Duméril, frère d’Auguste.
  3. Sophie.
  4. M. Darancourt, banquier.
  5. La cousine Eléonore Vasseur vient d’épouser André Fröhlich ; ils habitent à Montataire près de Creil.
  6. Ses belles-filles, les deux sœurs Eugénie et Félicité Duméril.
  7. Clarisse Ghiselain.
  8. Alfred Duméril, fils de Florimond (l’aîné).
  9. André Marie Constant Duméril.
  10. Michel Delaroche.
  11. Narcisse Achille de Salvandy, ministre de l’instruction publique de 1845 à 1848.

Notice bibliographique

D’après le livre de copies : Lettres de Monsieur Auguste Duméril, 2ème volume, « Lettres écrites par Eugénie et par moi, pendant mon voyage sur les bords du Rhin, en Septembre 1846 », p. 479-482

Pour citer cette page

« Vendredi 18 septembre 1846. Lettre d’Alphonsine Delaroche (Paris) à son fils Auguste Duméril (Mannheim) », Une correspondance familiale (D. Poublan et C. Dauphin eds.), https://lettresfamiliales.ehess.fr/w/index.php?title=Vendredi_18_septembre_1846&oldid=35825 (accédée le 21 novembre 2024).

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