Vendredi 16 septembre 1870 (A)

De Une correspondance familiale


Lettre de Charles Mertzdorff (Vieux-Thann) à son épouse Eugénie Desnoyers (Bâle)


original de la lettre 1870-09-16A pages1-4.jpg original de la lettre 1870-09-16A pages2-3.jpg


CHARLES MERTZDORFF

AU VIEUX-THANN

Haut-Rhin[1]

Ma chère petite Nie

Rien de bien nouveau ici pour la journée d'aujourd'hui.

Tu as reçu une lettre d'Emilie[2] que je viens de lire, mais elle a 3 jours de date de sorte qu'elle ne dit rien. Si ce n'est que l'on a toujours peur de l'occupation, sans cependant croire qu'elle puisse se réaliser le lendemain. Nous n'avons aucun détail de Colmar, l'on dit que l'on s'est battu, mais ne savons pas autre chose.

Ma pauvre sœur se préoccupe toujours des autres. Elle prétend qu'il y a 40 mille francs-tireurs par corps de 50 à 100. que peut faire une pareille organisation, les uns vont à droite, les autres à gauche, sans tête comme tout ce qui se fait en France.

D'après journal de Bâle Bismarck ne veut traiter avec la République et entend faire rentrer Napoléon III avec & à la tête de son armée qui se trouve en Allemagne.

Tout est possible aujourd'hui ! Par contre je lis aussi que pour donner plus de poids aux réclamations & futurs traités l'on va occuper le haut-Rhin & si par extraordinaire l'on ne peut le garder l'on prête l'intention de fortement rançonner le département surtout Mulhouse. C'est dans les habitudes de la Noble nation Allemande.

Nous n'avons rien de la France, le courrier de Paris n'est pas arrivé, Melun est occupé & probablement aujourd'hui tous les chemins de fer coupés.

J'ai passé à peu près toute ma journée à parcourir le village, à remonter tout le monde & ce n'est pas facile, les hommes malades comme Wirtz[3] & Stern sont ou étaient persuadés qu'on allait les faire marcher avec les Prussiens. Aujourd'hui plus de 100 jeunes ont passé le village fuyant les prussiens. Ici je voyais le moment où tous les hommes allaient se sauver. J'espère qu'il y aura un peu plus de calme demain.

Demain je m'attends à apprendre leur entrée à Mulhouse.

Notre tour ne viendra que Samedi ou Dimanche.

l'on m'a demandé des cartouches, il est vrai qu'on avait cherché le courage dans la bouteille. J'ai refusé comme tu penses bien. Comme les cartouches sont chez moi je vais les faire mettre de côté & à première réquisition je les jetterai dans le canal. ou ferai couler de l'Eau dessus.

Mais relativement le village est assez calme quoique cet après-midi la 1/2 des Ouvriers aient passé leur journée dans les cabarets. Quelle triste population que celle de ces malheureux serruriers, c'est une vraie lèpre dans un pays.

J'ai réuni mon conseil[4] &, dès demain matin il reste réuni en permanence.

Je ne sais rien de Nanette[5]. Antoinette a passé sa journée ici.

Il est 10 h soir je vais encore sortir faire un tour dans le village

Il y a 8 hommes de garde, n'ont-ils pas eu le toupet de venir me demander à boire, devant rester la nuit dehors. Vox populi !!!

tout à toi ma chère ton

Charles

J'espère que ma lettre te trouvera promptement & te trouvera avec tout ton entourage[6], bien installés

la petite Thérèse[7] est peut-être la seule qui n'ait pas peur. Marianne[8] la portière, & bien d'autres ne font que pleurer.

Il est arrivé ici la fille de M. Hans[9] qui est sœur institutrice dans un village près Haguenau où il y a des prussiens depuis 1 mois. Elle est rentrée par le pays de Baden, elle dit que ces allemands se sont toujours très bien conduits & que pas un habitant n'a eu à en souffrir, autrement que par les réquisitions.

Mais je crains qu'ici ces réquisitions ne soient excessives. Nous ne tarderons pas à l'apprendre. Jamais Francfort n'a été aussi prussien que depuis que la ville a été fortement rançonnée.


Notes

  1. En-tête imprimé.
  2. Emilie Mertzdorff, sœur de Charles et épouse d’Edgar Zaepffel, vivant à Colmar.
  3. Blaise Wirtz.
  4. Le conseil municipal.
  5. Annette, domestique chez les Mertzdorff, ainsi que Antoinette et Thérèse Neeff.
  6. Les filles de Charles, Marie et Emilie Mertzdorff et leur bonne Cécile et les domestiques masculins.
  7. Thérèse Neeff, domestique chez les Mertzdorff.
  8. Marie Anne Wallenburger, épouse de Melchior Neeff.
  9. Une demoiselle Hans, l’une des filles de Dominique Hans.

Notice bibliographique

D’après l’original

Pour citer cette page

« Vendredi 16 septembre 1870 (A). Lettre de Charles Mertzdorff (Vieux-Thann) à son épouse Eugénie Desnoyers (Bâle) », Une correspondance familiale (D. Poublan et C. Dauphin eds.), https://lettresfamiliales.ehess.fr/w/index.php?title=Vendredi_16_septembre_1870_(A)&oldid=59701 (accédée le 18 décembre 2024).

D'autres formats de citation sont disponibles sur la page page dédiée.