Samedi 9 juillet 1842

De Une correspondance familiale


Lettre de Louis Daniel Constant Duméril (Lille) à son frère Auguste (Paris)


lettre du 9 juillet 1842, recopiée livre 6, page 143.jpg lettre du 9 juillet 1842, recopiée livre 6, page 144.jpg lettre du 9 juillet 1842, recopiée livre 6, page 145.jpg lettre du 9 juillet 1842, recopiée livre 6, page 146.jpg lettre du 9 juillet 1842, recopiée livre 6, page 147.jpg


de Constant Duméril fils.

Lille 9 Juillet 1842.

Mon cher et bon frère,

Tu t’attendais sans doute à recevoir plus tôt, de moi, des nouvelles directes ; de mon côté, j’espérais t’en envoyer hier. Avant d’entrer en conversation, au sujet de ton mariage, et comme personne ici n’abordait la question, j’ai voulu sonder un peu le terrain, et m’assurer du motif qui empêchait que mon oncle[1] m’en entretînt. Je n’ai pas tardé à m’apercevoir que ma tante n’était pas tout à fait satisfaite. Hier, avant dîner, j’ai entamé la discussion avec mon oncle, et j’ai vu qu’il était très irrité contre sa femme, de ce qu’elle semblait dire que le mariage d’Eugénie se faisait sans son assentiment, d’autant plus qu’elle n’alléguait pas d’autre motif, que celui de religion, et que le doyen de St Maurice avait dit tout ce qu’il pouvait dire, pour lever ses scrupules. Il m’a répété qu’il t’aimait beaucoup, qu’il était persuadé que sa fille serait parfaitement heureuse par toi, et que ses sentiments n’avaient rien de changé depuis qu’il avait donné son consentement. J’ai ensuite touché la corde du changement de résidence pour lui et ma tante, lorsque ses enfants se trouveraient réunis à Paris ; il s’en est fort attristé, m’a dit qu’il sentait qu’il s’en allait ; que sa vue baissait, qu’il ne pouvait plus conduire sa plume, et que sa mémoire diminuait tous les jours ; qu’il n’avait pas assez de temps à vivre pour songer à quitter sa maison actuelle ; que, d’ailleurs, un déplacement occasionnerait de trop grands frais. Notre conversation a été interrompue par le dîner. Cette conversation avait commencé parce que j’avais parlé à mon oncle de ce que tu faisais, et des démarches que tu avais faites pour tâcher d’arriver à être médecin d’une prison de Paris.

Après dîner, mon oncle est sorti, pour se rendre à une séance du conseil municipal, et moi, je suis sorti, de mon côté, pour trouver quelqu’un à qui j’avais à parler d’affaires. En rentrant, j’ai trouvé ces trois dames[2] en conversation sérieuse, au sujet de ce mariage et la pauvre Eugénie tout émue. Ma tante s’était laissé aller à reprocher à sa fille d’avoir voulu agir à sa tête, et sans prendre ses conseils ; j’ai réussi à apaiser un peu l’orage, et ma tante a fini par dire qu’elle t’aimait beaucoup, qu’elle savait parfaitement t’apprécier mais qu’elle aurait préféré que tu n’épousasses pas sa fille, pour deux motifs : le premier, celui de la différence de religion, sur lequel elle n’a pas su se défendre, à cause des paroles du doyen de St Maurice ; le second, qu’elle voyait avec peine que votre position de fortune ne vous permettait pas d’aller vivre seuls, dans le cas où Eugénie ne saurait pas vivre en parfaite harmonie avec maman[3], et que le caractère impétueux d’Eugénie lui donnerait à craindre qu’elle ne sût pas supporter avec patience les petites contrariétés qui ne peuvent manquer de naître d’une vie en commun.

Là-dessus, nous n’avons pas aussi bien pu la contenter, car je crois que le caractère d’Eugénie, qui a déjà tant changé à son avantage, ne laissera plus rien à désirer, quand elle sera plus heureuse, et nous ne pouvions pas faire valoir ces motifs-là. Mon oncle est rentré, la conversation s’est ranimée, parce qu’il s’est fâché que ma tante eût parlé ainsi, mais cela s’est assez vite apaisé, et la conversation a pris une tout autre tournure : ma tante est redevenue fort aimable, et nous avons été nous coucher.

Nous sommes persuadés, Félicité et moi, que ma tante, qui est vraiment très superstitieuse, a cru de son devoir de faire cette espèce de protestation pour mettre sa conscience à couvert du mal qu’elle pense qu’il peut y avoir à donner sa fille à un homme qui n’est pas catholique, mais qu’au fond, elle voit avec plaisir ce mariage. Je crois donc que tu ne devras pas t’effrayer, si tu es soumis à un renouvellement de cette scène, lorsque tu viendras. Je ne te parle plus d’Eugénie : je crois que tu n’as rien à désirer de ce côté-là.

Notre temps se passe très vite ici, comme tu peux le penser : hier, nous avons fait les visites à la famille ; aujourd’hui, nous nous sommes mis en route à neuf heures et demie du matin, après avoir pris notre café, pour aller faire notre second déjeuner chez Esther[4], à la campagne. Je viens de rentrer à 3 heures, en y laissant encore ma femme, les enfants[5], Eléonore[6] et Eugénie : elles vont rentrer pour dîner.

Nos parents sont fous de Léon : ils le trouvent charmant sous tous les rapports, et sont aussi bien heureux de voir Caroline, mais celle-ci a bien moins changé, depuis deux ans.

Nous venons de recevoir de bonnes nouvelles d’Arras[7] : la petite Clotilde va beaucoup mieux, et paraît hors de danger ; elle a refusé le sein : le médecin est fort content.

Je n’ai plus le temps de t’en dire davantage, je te quitte, en te priant de bien embrasser nos parents pour Félicité et moi et de recevoir nos bien cordiales amitiés.

Ton affectionné frère.

C. Duméril.


Notes

  1. Auguste Duméril l’aîné. Son épouse est Alexandrine Cumont. Leur fille, Eugénie est la fiancée d’Auguste, destinataire de cette lettre.
  2. Louis Daniel Constant Duméril désigne ainsi sa tante, sa femme et sa belle-sœur.
  3. Alphonsine Delaroche.
  4. Esther Le Lièvre, épouse de Valéry Cumont. Ils ont deux enfants, Esther et Charles.
  5. Louis Daniel Constant Duméril et sa femme Félicité ont deux enfants, Caroline et Léon.
  6. Eléonore Vasseur, jeune cousine germaine, fille de Théophile (Charles) Vasseur et de Fidéline Cumont.
  7. En poste à Arras, Charles Auguste Duméril, ingénieur des Ponts et Chaussées, et son épouse Alexandrine Brémontier ; ils ont un bébé, Clotilde.

Notice bibliographique

D’après le livre de copies : lettres de Monsieur Auguste Duméril, 1er volume, « Lettres relatives à notre mariage », p. 143-147

Pour citer cette page

« Samedi 9 juillet 1842. Lettre de Louis Daniel Constant Duméril (Lille) à son frère Auguste (Paris) », Une correspondance familiale (D. Poublan et C. Dauphin eds.), https://lettresfamiliales.ehess.fr/w/index.php?title=Samedi_9_juillet_1842&oldid=35679 (accédée le 15 novembre 2024).

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