Mardi 12 juillet 1842

De Une correspondance familiale


Lettre de Louis Daniel Constant Duméril (Lille) à son frère Auguste Duméril (Paris)


lettre du 12 juillet 1842, recopiée livre 6, page 147.jpg lettre du 12 juillet 1842, recopiée livre 6, page 148.jpg lettre du 12 juillet 1842, recopiée livre 6, page 149.jpg lettre du 12 juillet 1842, recopiée livre 6, page 150.jpg lettre du 12 juillet 1842, recopiée livre 6, page 151.jpg lettre du 12 juillet 1842, recopiée livre 6, page 152.jpg lettre du 12 juillet 1842, recopiée livre 6, page 153.jpg lettre du 12 juillet 1842, recopiée livre 6, page 154.jpg


de Constant Duméril fils.

Lille 12 Juillet 1842.

Mon cher ami,

Je suis bien triste de t’écrire pour ne pas te donner de meilleures nouvelles ; mais il faut que tu saches que ma tante[1] est dans un de ses mauvais moments, et alors, c’est un triste séjour que sa maison. La journée de dimanche a été détestable : ma tante a déclaré formellement qu’elle s’opposait de tout son pouvoir à ton union avec sa fille[2], nous avons eu beau lui représenter que si elle avait voulu s’y opposer, elle aurait dû le faire à l’époque de ta demande, quand tu n’avais pas encore d’espoir bien fondé ; que maintenant, tu avais sa promesse, il était indélicat de sa part de venir la retirer sans motif plausible. Mon oncle[3] lui a répondu nettement que toute l’opposition qu’elle voudrait faire n’aurait aucune utilité ; que le mariage aurait lieu, puisqu’il avait donné sa parole, et que d’ailleurs ce mariage lui convenait, et qu’il en était heureux. Ma tante a tenu bon : elle était d’une humeur terrible ; elle s’est animée contre les servantes, les a mises à la porte. Le soir, nous avons été faire une longue promenade à la campagne ; à notre retour, elle nous a renouvelé ses protestations : je me suis fâché tout rouge, je lui ai dit que son égoïsme seul était en jeu, et que je regardais ce refus de sa part comme une injure personnelle, puisque j’avais été l’intermédiaire de ce mariage, et je l’ai menacée de repartir de suite avec mon monde. Mon oncle a pris la chose avec calme, m’a dit que c’était chez lui que j’étais, que je ne devais attacher aucune importance à ce que me disait ma tante, et nous a tous envoyés coucher. Eugénie heureusement n’assistait pas à cette scène : elle avait été coucher Caroline[4], et avait dit qu’elle ne redescendrait pas. Hier, ma tante a été bien mieux, mais elle a refusé de lire la lettre de maman[5] ; aujourd’hui, elle a refusé de prendre connaissance de ta lettre, que Félicité[6] lisait à son père (la grande, bien entendu). Elle n’est pas mal aujourd’hui, mais moins bien qu’hier. Ces deux jours, elle n’a plus parlé de toi et d’Eugénie, mais elle n’est pas revenue sur ce qu’elle a dit dimanche.

Après la lecture, qui a été faite de la lettre à mon oncle, nous avons causé avec lui de ce refus de ma tante, de prendre connaissance de cette lettre, et de la question en général : j’ai dit à mon oncle que mon opinion était qu’il fallait marcher de l’avant, comme si ma tante n’avait rien dit ; que mon intention était de lui parler en ce sens : il m’a répondu qu’il partageait tout à fait mon avis, mais qu’il craignait que tu ne voulusses pas venir reprendre Félicité, comme cela avait été convenu, puisque tu étais informé de l’opposition faite par ma tante. Je lui ai dit que tu t’engageais fortement à ne pas renoncer à ce voyage, car ce serait presque renoncer à la main d’Eugénie ; que je pensais qu’il fallait parler le moins possible de tout cela, mais agir, et aller de l’avant, comme si rien n’avait été dit. Comme mon oncle partageait tout à fait ma manière de voir, il a été convenu que je passerais à Arras, en retournant à Paris, et que je prierais Auguste[7] de s’arranger de manière à se trouver à Lille en même temps que toi, pour tâcher d’éviter toute explosion ; que d’ailleurs, dans cette entrevue, je pourrais mettre mon beau-frère au courant de ce qui se passe ici depuis notre arrivée. Mon départ n’est pas encore fixé : je vais m’occuper ce soir d’aller aux voitures pour connaître les heures de départ pour Paris et pour Arras, et je tâcherai d’arranger les choses de manière à passer quelques heures dans cette dernière ville.

La pauvre Eugénie est bien triste de tout ce qui se passe, et dont elle est le motif, sans en être la cause : elle a peu dormi toutes ces dernières nuits, et a assez mauvaise mine. Je me suis permis de lui faire lire ta lettre, en entier, et je crois que cela l’a un peu remontée. Elle et Félicité, quoique plus craintives sur le résultat, approuvent la marche que mon oncle et moi pensons suivre.

Tu verras, mon cher Auguste, ce que tu as à faire : nous allons d’ailleurs en causer verbalement dans peu de jours ; je serais sans doute parti demain, si les esprits avaient été plus calmes ici, mais il m’en coûte de quitter mon monde dans ce moment, au milieu de l’orage qui n’est pas encore apaisé, de manière à me rassurer.

L’irritation de mon oncle contre toute la famille de ma tante est plus forte que jamais, aussi avons-nous cru devoir refuser un déjeuner qui nous était offert, pour hier, chez Mme Vasseur[8].

Il y avait assez de motifs d’agitation sans qu’on vînt y joindre celui-là. Mme Vasseur l’a bien compris, car sans en connaître le motif, elle sait que ma tante est dans un de ses moments de grande agitation.

Voilà, mon bon frère, d’assez tristes détails sur notre séjour ici : maman comprendra que Félicité ne lui ait pas encore écrit : il lui en coûterait trop de raconter tout cela. La pauvre petite Caroline a assisté à une grande partie de ces discussions, à mon grand regret, et sa tante Eugénie n’est malheureusement pas assez en humeur de gaîté pour lui être d’une grande ressource. Pourtant, elle paraît contente d’être à Lille ; je m’arrange pour qu’elle prenne un peu d’exercice.

Hier, il est arrivé à mon oncle un petit accident sans gravité, mais qui le contrarie beaucoup : en descendant quelques marches, dans la salle de la mairie, où se faisaient les élections, il a glissé, et s’est froissé le mollet, contre une de ces marches : il pouvait en être résulté un déchirement de quelques fibres, des muscles de la jambe : le médecin n’y a rien vu de grave : il a bandé la jambe, et l’a fait arroser avec de l’eau blanche[9] : ce matin, il a trouvé qu’il n’était pas survenu de nouvelle inflammation, et il a dit que ce ne serait rien : malheureusement, mon oncle ne peut pas s’astreindre à rester tout à fait en place, et il va et vient dans la salle, et monte même les escaliers.

Je te remercie et remercie maman, des détails que vous nous donnez sur votre vie tranquille. Je pense pouvoir bientôt la ranimer un peu. Maman doit avoir avancé ses affaires de rangement et de comptabilité, et toi, tu auras eu sans doute, plus de temps pour travailler.

Tu me dis que maman hésite à inviter Mme de Tarlé[10] à descendre chez elle : je t’avoue que je verrais avec regret qu’elle le lui offrît, car ce serait pour toi, une nouvelle entrave à ton travail, et tu ne dois rien négliger pour arracher le plus promptement possible cette pauvre Eugénie à la triste existence qu’elle mène, auprès de ses parents, et qui n’est guère soutenue que par l’espoir d’un meilleur avenir.

Adieu, mon cher Auguste, j’embrasse nos parents et je t’embrasse bien affectueusement ; j’éprouve bien des chagrins à vous écrire des lettres qui doivent vous attrister, mais il faut prendre les choses comme elles viennent et supporter les épreuves avec courage.

Ton affectionné frère.

C. Duméril.


Notes

  1. Alexandrine Cumont.
  2. Eugénie Duméril.
  3. Auguste Duméril l’aîné.
  4. Caroline est la fille aînée de Louis Daniel Constant Duméril.
  5. Alphonsine Delaroche.
  6. Félicité Duméril, épouse de Louis Daniel Constant.
  7. Charles Auguste Duméril, cousin d’Auguste et Louis Daniel Constant Duméril, réside alors à Arras.
  8. Fidéline Cumont, sœur d’Alexandrine, est mariée avec Théophile (Charles) Vasseur.
  9. L’eau blanche, ou eau végéto-minérale ou eau de Goulard, est selon le Dictionnaire de la langue français de Littré un « mélange d’eau minérale et de sous-acétate de plomb liquide ». Elle est utilisée contre les inflammations superficielles de la peau, les contusions, les brûlures.
  10. Suzanne de Carondelet, épouse d’Antoine de Tarlé.

Notice bibliographique

D’après le livre de copies : lettres de Monsieur Auguste Duméril, 1er volume, « Lettres relatives à notre mariage », p. 147-154

Pour citer cette page

« Mardi 12 juillet 1842. Lettre de Louis Daniel Constant Duméril (Lille) à son frère Auguste (Paris) », Une correspondance familiale (D. Poublan et C. Dauphin eds.), https://lettresfamiliales.ehess.fr/w/index.php?title=Mardi_12_juillet_1842&oldid=40676 (accédée le 15 novembre 2024).

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