Samedi 6 janvier 1883

De Une correspondance familiale

Lettre d'Aglaé Desnoyers, épouse d'Alphonse Milne-Edwards (Vieux-Thann) à Marie Mertzdorff, épouse de Marcel de Fréville (Paris)


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Vieux-Thann Samedi 6.[1]

Ma chère petite fille,

Nous aussi nous pensons bien à toi ; ton nom est sans cesse prononcé et depuis mon arrivée j’ai déjà parlé bien des fois à ton cher père[2] du petit Robert[3] ; comme c’est un nouveau personnage qu’on n’a pas encore le bonheur de connaître il y a beaucoup à dire ; aussi sa jolie petite figure fait-elle souvent les frais de la conversation ; ne crois pas pour cela que Jeanne[4] soit oubliée, son bon-papa m’a bien parlé d’elle et je lui ai transmis toutes ses commissions ;

Ton cher père n’est pas mal, mais je ne lui trouve pas encore la bonne mine que nous voudrions tant lui voir ; il est à peu près comme lorsque tu l’as quitté, mais il n’a certainement pas engraissé : il mange beaucoup d’œufs, de 7 à 8 par jour ; on lui met généralement dans son bouillon, c’est la manière qu’il préfère ; puis il prend toujours son lait, de plus très peu de viande, et plusieurs verres de vin sucré. Hier nous avons fait tous les 3 une promenade de 2 heures en voiture, nous sommes allés loin dans la vallée qui est aussi belle en hiver que jolie en été. Est-il nécessaire de te parler du bonheur que nous avons eu à passer la journée ensemble, je crois que c’est inutile, car tu devines tout cela de loin ; Émilie[5] m’a fait mille questions, et il en reste encore beaucoup en provision, elle m’a montré de gentilles lettres de Paule[6] comme elle sait les écrire. Dans l’une d’elle j’y trouve une phrase si gentille sur Henriette[7] que je te la copie : « Notre chère Henriette passe beaucoup de temps avec sa grand-mère[8] qui aime de moins en moins à rester seule ; elle fait travailler Marthe[9], et travaille pour elle-même son anglais et son piano. C’est une vie sérieuse et dévouée qu’elle prend avec tout le cœur et l’élévation de sentiments que tu lui connais ; et pourtant, je le dis tout bas et à toi, je voudrais être fée pour transformer son chat en Prince Charmant et les boutons de sa robe en gros diamants. Ne me crois pas enfant de rêver de pareilles choses, et sous cette forme, mais je voudrais voir toutes nos amies le plus heureux possible, et je me figure qu’H. trouverait un nouveau bonheur à étendre encore plus son dévouement. » N’est-ce pas que c’est charmant, et qu’on reconnaît bien là le cœur et l’esprit de Paule ? Aujourd’hui il neige, mais nous pensons cependant à sortir dans la journée.

Je t’écris dans le petit salon que tu connais si bien, pendant qu’Émilie remercie Marthe de sa lettre et que ton papa est dans son cabinet à côté de nous…

Il paraît désirer avoir encore le conseil de M. Kussmaul[10] pour savoir s’il n’y aurait pas quelque chose à changer à son régime.

Merci de ta bonne lettre qui nous a fait bien plaisir à tous.

Adieu ma petite fille chérie, je t’envoie toutes les amitiés dont on me charge pour toi et les tiens ; j’y ajoute mes plus tendres baisers, sans oublier ton cher mari[11] et tes petits enfants.

AME

On n’a pas de nouvelles [nouvelles] de M. Duméril[12] ; mais Paul paraît inquiet. On craint une atrophie du foie.


Notes

  1. Lettre sur papier deuil, non datée, à situer juste après la naissance de Robert de Fréville.
  2. Charles Mertzdorff, le « bon-papa ».
  3. Robert de Fréville, nouveau-né.
  4. Jeanne de Fréville, sœur de Robert.
  5. Émilie Mertzdorff, sœur de Marie.
  6. Paule Arnould.
  7. Henriette Baudrillart.
  8. Probablement Marguerite Geneviève Jenny Trouvé, veuve de Samuel Ustazade Silvestre de Sacy.
  9. Marthe Baudrillart, 6 ans de moins que sa sœur Henriette.
  10. Le docteur Adolf Kussmaul.
  11. Marcel de Fréville.
  12. Charles Auguste Duméril, père de Paul Duméril.

Notice bibliographique

D’après l’original.

Pour citer cette page

« Samedi 6 janvier 1883. Lettre d'Aglaé Desnoyers, épouse d'Alphonse Milne-Edwards (Vieux-Thann) à Marie Mertzdorff, épouse de Marcel de Fréville (Paris) avec une citation de Paule Arnould », Une correspondance familiale (D. Poublan et C. Dauphin eds.), https://lettresfamiliales.ehess.fr/w/index.php?title=Samedi_6_janvier_1883&oldid=54294 (accédée le 15 novembre 2024).

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