Samedi 5 novembre 1870 (A)
Lettre d’Eugénie Desnoyers (épouse de Charles Mertzdorff) (Vieux-Thann) à ses filles Marie et Emilie Mertzdorff (à Morschwiller chez leurs grands-parents)
Samedi 5 Novembre 70
Mes chères bonnes petites filles,
Père[1] et moi sommes rentrés à bon port hier soir[2], sans avoir aperçu l'ombre d'un prussien. Nous étions bien heureux d'avoir vu nos deux bonnes chéries et les bons grands-parents[3] et nous nous réjouissons d'avoir de nouveau avec nous, la semaine prochaine, nos deux fillettes. Le soir papa a regardé, admiré ses surprises, il avait l'air très satisfait du travail de ses petites filles (je vous glisse cela dans l'oreille, car je pense que ça ne vous fera pas de peine.)
En notre absence rien de nouveau au village, nous avons fait porter la lettre des petites amies[4] qui a, je le sais, fait plaisir ; en sortant de la messe, j'ai vu Mme André[5], tante Marie[6] et Mlle Augusta[7] ; tout le monde va bien.
A 10h1/2 On vient dire : « Voici les Prussiens ». En effet, cette fois c'était la vérité. Père et les autres se rendent à la maison commune, et par tous les chemins, il en passe (des Prussiens), se rendant dans la vallée (excepté par le petit chemin le long de l'eau.) Je n'en ai pas vu. Mais de la cuisine on en a vu environ 50 passant dans la montagne. Un corps de cavalerie, infanterie, 3 canons a passé au milieu du village et a demandé au conseil municipal les fusils et 100 pioches et brouettes pelles pour dans deux heures. On n'a rien entendu, jusqu'ici, tout s'est passé avec calme, père est déjà revenu me voir, mais il est retourné de suite à la maison commune ; il est midi je l'attends pour dîner si Messieurs les Prussiens lui en laissent le temps. J'oubliais : défense expresse de sonner à l'église « même pour les messes ».
Voici un temps splendide, je pense que vous pourrez bien jouer à courir, et que si ton mal de gorge n'a pas augmenté, ma petite Mie, tu sortiras un moment au soleil après dîner. Vous avez dû bien rire mes 4 grandes pensionnaires, j'espère que vous n'avez pas fait trop de malices à votre sous-maîtresse, comme les petites filles de l'histoire de Mlle Julie la sévère, je crois au contraire que vous vous serez arrangées pour la faire jouer avec vous et cette bonne Cécile[8] n'aura pas demandé mieux que d'amuser ses petites filles.
Père ne rentre pas. Un bon gros baiser à mes deux chéries.
1h. Nous venons de dîner ; père a passé sa matinée à la mairie avec MM. Berger[9], Zimmermann[10] et l'oncle[11], tous les fusils sont rentrés et ces messieurs vont attendre à la mairie que les prussiens viennent les chercher, la voiture est déjà attelée... Les voilà. La cour est bien tranquille. Les quelques ouvriers viennent de rentrer comme toujours.
Voilà, mes bonnes chéries, les nouvelles qui vont vous intéresser toutes et tous, espérons qu'il n'y aura rien de plus et comme dit ma petite Emilie continuons à prier Dieu qu'il protège ceux que nous aimons, et qu'Il ait pitié de notre pauvre France.
Fifi se porte bien, il s'est baigné 2 fois ce matin dans l'eau froide et il a mangé avec satisfaction son sucre. Vos oignons poussent. Avez-vous planté ceux de bonne-maman, ce sera un petit souvenir de ses fillettes.
Adieu, mes chères Amies, je vous embrasse bien fort et qu'Emilie et Marie se chargent de transmettre nos amitiés à bonne-maman, à bon-papa, à oncle Léon[12], à Cécile sans oublier leurs deux amies que je suis bien contente de savoir avec elles. J'irai vous chercher comme je vous l'ai dit.
Votre maman qui vous aime beaucoup
Eugénie M.
Notes
- ↑ Charles Mertzdorff.
- ↑ Revenant de Morschwiller.
- ↑ Félicité Duméril et son époux Louis Daniel Constant Duméril.
- ↑ Marie et Hélène Berger, avec les petites Mertzdorff à Morschwiller.
- ↑ Marie Barbe Bontemps veuve de Jacques André.
- ↑ Marie André.
- ↑ Mlle Augusta, institutrice des petites Berger.
- ↑ Cécile, bonne des petites Mertzdorff.
- ↑ Louis Berger, père de Marie et Hélène.
- ↑ Thiébaut Zimmermann.
- ↑ Georges Heuchel.
- ↑ Léon Duméril.
Notice bibliographique
D’après l’original
Pour citer cette page
« Samedi 5 novembre 1870 (A). Lettre d’Eugénie Desnoyers (épouse de Charles Mertzdorff) (Vieux-Thann) à ses filles Marie et Emilie Mertzdorff (à Morschwiller chez leurs grands-parents) », Une correspondance familiale (D. Poublan et C. Dauphin eds.), https://lettresfamiliales.ehess.fr/w/index.php?title=Samedi_5_novembre_1870_(A)&oldid=35622 (accédée le 5 octobre 2024).
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