Samedi 4 novembre 1882
Lettre de Marie Mertzdorff, épouse de Marcel de Fréville (Paris) à son père Charles Mertzdorff (Vieux-Thann)
Mon Papa chéri,
Puisque la petite[1] ne va pas venir ce matin te dire son petit bonjour accoutumé ce sera la grande qui au moins avant ton dîner va venir t’embrasser bien fort, je pense tant à toi, vois-tu mon cher petit Père, que c’est presque comme si j’étais auprès de toi ; je me réjouis bien d’avoir de tes nouvelles demain[2] mais cependant je t’assure que je renoncerais bien aisément au plaisir de revoir tout notre cher monde si je pouvais te rendre leur société ; j’ai été bien contente de la lettre de tante que j’ai reçue ce matin et qui me dit son intention de te reconduire Émilie dans un mois ; je compte sur elle pour te rappeler qu’un bon lit t’attend chez ta vieille Marie, qu’un nouveau petit-fils[3] demande un baiser de son bon-papa, et grâce à cette petite avocate j’espère que tu ne manqueras pas de nous arriver comme tu nous l’as dit. En attendant, Père chéri, je t’en supplie, soigne-toi bien ; ne te relâche pas de ton régime parce que nous ne sommes plus là, ne mange pas trop vite et quand tu t’installes dans ta salle à manger en face d’un repas qui ne te tente guère tâche de trouver quelque bonne pensée gaie et heureuse qui te distraie et te serve de bonne sauce ; pense aux sottises que nous faisions jadis ; pense comme nous sommes heureuses, représente-toi le bonheur de ta grande fille, bonheur aussi complet que possible et qu’elle te dis-toi que c’est toi qui as fait tout cela, et tu verras que tu ne pourras pas t’empêcher de sourire un peu et d’oublier ta viande. Continue aussi à respirer et à marcher, je crois que cela t’est bien bon. Mais mon pauvre petit papa, je vais t’ennuyer à te répéter toujours la même chose ; c’est que vois-tu tu es ma pensée principale et tout en trottinant dans ma maison je me demande ce que fait mon papa, je le suis, je fais avec lui un bout de causette puis je remets bien vite le nez dans mon armoire. Je viens d’exécuter aujourd’hui un rangement superbe ; il pleut aussi je n’ai pas bougé ; si cependant ce matin pour aller à la messe, une vieille tradition à la Saint Charles que je n’ai pas oubliée ; de loin plus encore que de près j’aime à demander au bon Dieu de veiller sur mon papa chéri. Ce soir nous dînons chez ma belle-mère[4]. Marcel[5] s’est remis avec une grande ardeur à sa besogne, il vient de revenir s’habiller pour aller signer le contrat de mariage d’un de ses amis ; c’est la mode maintenant de faire ces réunions-là dans le jour. Hier nous avons fait toute la tournée de visite des cousins d’Arleux[6], nous voilà en règle maintenant avec notre famille ; j’ai été aussi commander le lit de Jeanne[7] ; une grosse affaire comme tu vois.
Pauvre Jeannot est très chagrine de ne pas sortir aujourd’hui ; je t’assure aussi qu’elle te satisferait complètement car elle traduit sa contrariété par des cris de paon. Demain nous comptons ne pas bouger ; j’enverrai Nounou[8] voir sa fille et Marcel apportera ses livres de la Cour afin que nous soyons ensemble.
Adieu mon cher Papa, je t’embrasse comme je t’aime mais non pas aussi fort car je serais incapable de le faire aussi énergiquement qu’il faudrait. Si tu savais comme c’est fort que je t’aime cher petit Papa !
ta fille
Marie
Notes
- ↑ Émilie Mertzdorff, sœur de Marie, qui vient de quitter leur père.
- ↑ En allant au Jardin voir Émilie, Alphonse Milne-Edwards et son épouse Aglaé Desnoyers (« tante »), rentrés de Vieux-Thann.
- ↑ Robert de Fréville, à naître en décembre.
- ↑ Sophie Villermé, veuve d’Ernest de Fréville.
- ↑ Marcel de Fréville.
- ↑ Les Morel d'Arleux.
- ↑ Jeanne de Fréville (« Jeannot »).
- ↑ Nounou probablement prénommée Marie.
Notice bibliographique
D’après l’original.
Pour citer cette page
« Samedi 4 novembre 1882. Lettre de Marie Mertzdorff, épouse de Marcel de Fréville (Paris) à son père Charles Mertzdorff (Vieux-Thann) », Une correspondance familiale (D. Poublan et C. Dauphin eds.), https://lettresfamiliales.ehess.fr/w/index.php?title=Samedi_4_novembre_1882&oldid=35608 (accédée le 15 novembre 2024).
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