Samedi 2 juillet 1870
Lettre d’Eugénie Desnoyers, épouse de Charles Mertzdorff (Nogent-le-Rotrou-Launay) à Félicité Duméril (Morschwiller)
<V > Launay
2 Juillet 1870
Chère bonne-Maman,
Nous sommes bien heureux d'apprendre que M. Auguste[1] constate lui-même une amélioration sensible dans son état, que l'appétit est revenu et qu'il peut prendre de l'exercice, soit en voiture, soit à pied sans en éprouver trop de fatigue. Nos pensées se reportent souvent vers vous tous et nous jouissons doublement de notre bonne réunion de famille, en sachant que de votre côté vous avez le bonheur de posséder votre chère sœur et son mari[2].
Il y a déjà bien longtemps que je vous ai écrit, et je ne sais plus où reprendre mon journal. Depuis notre arrivée ici nous menons une bonne petite vie de campagne qui fait du bien à tout le monde et à Charles[3] en particulier ; il a bonne mine, de l'entrain et sait jouir et s'occuper de Launay de façon à ne pas s'ennuyer de l'absence de la fabrique. La pêche est à l'ordre du jour ; Charles et Alphonse[4] sont les grands fournisseurs de la cuisinière ; il y a tant de carpes dans la pièce d'eau que ces messieurs n'ont qu'à jeter leurs lignes pour prendre un bon plat de friture (carpes et carpillons). Vous devinez si cela amuse la petite jeunesse[5] qui est chargée de fournir les engins nécessaires sauterelles &. Emilie a retrouvé son cher sable où elle se baigne en quelque sorte tant elle aime à y jouer avec petit Jean, on fait des pâtés, des jardins, des maisons. Marie, plus raisonnable, vient quelque fois lire et coudre, auprès de nous, soit sur les prés, soit dans les bois ; puis on va manger des cerises si grosses qu'elles seraient dignes de figurer à l'exposition, ensuite le soir vient le tour de la grande partie de ballon avec les oncles[6] et le papa. Enfin ce sont des plaisirs toujours nouveaux et qui font du bien sans fatiguer. Launay est toujours trouvé de plus en plus joli et agréable à habiter, malheureusement beaucoup trop loin. L'air y est extrêmement pur et je trouve meilleure mine à Aglaé[7] et à Alphonse qui sont arrivés un peu fatigués ; papa[8] va très bien ; le temps sec convient à maman[9] et notre grosse Marie a une figure qui réjouit tant il y a d'entrain. Les fillettes, qui jouent avec les poupées, me chargent de dire à la chère bonne-maman Duméril qu'elles l'aiment beaucoup et pensent bien à elle, qu'elles sont bien contentes de savoir que l'oncle Auguste va mieux. Alfred est venu aussi nous trouver, tout joyeux de se retrouver en famille, il va tout à fait bien et multiplie les attentions pour nous tous. Avant de quitter Paris il a mené nos petites filles (et nous tous) au cirque de l'Impératrice[10] ; vous comprenez la joie. Dimanche j'ai été dire adieu à Adèle[11], je l'ai trouvée parfaitement bien, bonne mine et une expression qui réjouit le cœur ; ses petits enfants[12] ont été très gentils, la connaissance était faite. Jeudi soir Clotilde[13] est venue nous voir avec M. de Torsay et sa petite Marguerite qui me parait très avancée pour son âge ; elle a 5 dents, a eu sa première à 3 mois, a des cheveux, se tient ferme, mange de tout, enfin il est bien heureux qu'elle s'élève aussi facilement.
Demain nous descendrons à Nogent pour lui rendre sa visite. M. de Torsay va bien, toujours aimable et bon, il nous a chargé de mille choses pour vous, ainsi que Clotilde qui est encore engraissée.
Charles remercie Léon[14] de sa lettre reçue ce matin avec celle de M. Heuchel[15] nous savons avec plaisir qu'il a été au Vieux-Thann ; j'espère qu'il n'a pas été trop mal traité. Jeudi nous partons pour la Bretagne, afin de prendre le 1er bain le 8. Tout le monde regrettera Launay ; maman ne peut pas nous accompagner, cette bonne mère ne veut pas laisser papa, et puis elle a encore beaucoup à faire après son déménagement. Adieu, chère bonne-Maman, je vous embrasse de cœur pour vous et votre bon entourage ; en mon nom et en celui de ceux qui peuvent se le permettre ici, votre respectueuse et bien affectionnée
Eugénie Mertzdorff
Maman et Aglaé me chargent particulièrement de leurs amitiés, à la hâte je vous envoie encore les tendresses de Marie et d'Emilie.
Dimanche 5 h. souvenirs bien affectueux à M. et Mme Auguste.
Notes
- ↑ Auguste Duméril.
- ↑ Eugénie Duméril et son époux Auguste Duméril.
- ↑ Charles Mertzdorff.
- ↑ Alphonse Milne-Edwards.
- ↑ Marie et Emilie Mertzdorff et Jean Dumas.
- ↑ Alphonse Milne-Edwards et Alfred Desnoyers.
- ↑ Aglaé Desnoyers, épouse d’Alphonse Milne-Edwards.
- ↑ Jules Desnoyers.
- ↑ Jeanne Target, épouse de Jules Desnoyers.
- ↑ Le Cirque d’été, installé en 1835 par Adolphe Franconi le long des Champs-Élysées, est remplacé en 1841 par un solide édifice en meulière de 6 000 places. Il fonctionne du 1er mai au 1er septembre. En 1847, le prix d’entrée est de 1 à 2 F. En 1853 il prend le nom de Cirque de l’Impératrice.
- ↑ Adèle Duméril, épouse de Félix Soleil.
- ↑ Marie, Léon et le nouveau-né Pierre Soleil.
- ↑ Clotilde Duméril, épouse de Charles Courtin de Torsay et mère de Marguerite.
- ↑ Léon Duméril.
- ↑ Possiblement Georges Heuchel.
Notice bibliographique
D’après l’original
Pour citer cette page
« Samedi 2 juillet 1870. Lettre d’Eugénie Desnoyers, épouse de Charles Mertzdorff (Nogent-le-Rotrou-Launay) à Félicité Duméril (Morschwiller) », Une correspondance familiale (D. Poublan et C. Dauphin eds.), https://lettresfamiliales.ehess.fr/w/index.php?title=Samedi_2_juillet_1870&oldid=52346 (accédée le 18 décembre 2024).
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