Dimanche 12 juin 1870

De Une correspondance familiale

Lettre d’Auguste Duméril (Paris) à son frère Louis Daniel Constant Duméril et son épouse Félicité Duméril (Morschwiller)

livre de copies, vol. 2, p. 605 (lettre 1870-06-12).jpg livre de copies, vol. 2, p. 606 (lettre 1870-06-12).jpg livre de copies, vol. 2, p. 607 (lettre 1870-06-12).jpg livre de copies, vol. 2, p. 608 (lettre 1870-06-12).jpg


d’Auguste.

Dimanche 12 Juin 1870.

Mes chers amis,

Lecointe[1], qui, depuis mardi, est venu me voir tous les jours, excepté une fois, et qui se rend parfaitement compte de l’état dans lequel je suis, dit que je n’ai positivement rien, mais que je suis un peu chloro-anémique ; que j’ai besoin de me refaire ; qu’il faut manger ; (malheureusement l’appétit fait beaucoup défaut) ; prendre du vin de quinquina ; boire de l’eau ferrugineuse ; prendre du mouvement, à pied et en voiture, et changer de place. Vous comprenez que lorsqu’il est question de changer de place, c’est à l’Alsace que nous songeons. « Partez demain, si vous voulez » dit Lecointe. Un départ tellement précipité est chose impossible, mais nous venons de chercher à nous rendre compte de ce qui pourrait être fait. Adèle[2], qui n’a jamais que de bonnes idées, vient d’en avoir une parfaite, et qui, je crois, peut nous convenir à tous. Ce serait qu’Eugénie[3], renonçant au projet qu’elle formait, pour le cas où j’irais en Alsace, de venir m’y rejoindre, partît, au contraire, avec moi, ce qui centuplerait, pour moi, je dois le dire, le plaisir du voyage, car, un peu ébranlée, comme elle l’est, depuis quinze jours, par ce trouble énervant, survenu dans ma santé, je serais préoccupé de la crainte qu’elle ne s’imaginât que je ne suis pas bien, et je suis parfaitement sûr que ce séjour auprès de vous, qui ne peut m’être que très salutaire, ne le serait point pour elle, restant à Paris.

Adèle dit que la sœur, pouvant rester avec elle, aussi longtemps que cela serait nécessaire, nous ne devrions avoir, sur son compte, aucune préoccupation, ce qui est vrai, car cette sœur, si douce, et si entendue, ne lui laisserait faire aucune imprudence.

Avec la sœur, déjeuneraient et dîneraient les enfants[4], et Sophie[5], débarrassée d’une partie de sa besogne, par suite de notre absence, pourrait aider beaucoup Pauline[6], dans les soins à rendre aux enfants, qui sont presque autant accoutumés à elle qu’à Pauline, dont l’installation avec eux, dans la chambre d’amis, est tout à fait organisée.

C’est Adèle, il est vrai, qui éprouvera un peu de solitude, mais la satisfaction dont elle sentira que nous jouissons, la lui fera supporter. Elle est d’ailleurs aussi bien que possible. Elle passe, depuis 3 jours, 3 heures, ou 4 h, dans le fauteuil, avec le fainéant, et n’en éprouve aucune fatigue. Elle est tout à fait charmante, dans ce fauteuil, avec une jolie robe de chambre, demi-deuil. Pierre pousse comme un champignon, ne fait que téter et dormir, sans jamais pousser un cri : toutes ses affaires deviennent trop petites. Il est donc certain que la mère et l’enfant sont dans les meilleures conditions, et les aînés, surtout l’intrépide joueur Léon, ne s’apercevront guère de notre absence. Cela étant, nous nous demandons s’il y aurait possibilité pour vous de nous recevoir vendredi matin. Nous pensions d’abord partir le matin, mais je crains que, avec cette chaleur, la journée ne nous parût bien longue, et il nous semblerait préférable de sacrifier le plaisir de nous arrêter à Chaumont[7], aux avantages du voyage nocturne. Vous voyez que nous agissons bien sans gêne, mais on est toujours si affectueusement reçus par vous, qu’on se laisse facilement aller à compter sur votre bonne amitié.

Nous avons fait hier une jolie promenade, en voiture, au bois de Vincennes, avec les enfants. Nous allons en faire encore une, aujourd’hui, mais en nous dirigeant, dans le bois, vers le lac de Saint-Mandé.

Je vais avoir quelques petites affaires du Muséum à régler, avant mon départ, mais je pourrai être prêt jeudi soir, et Eugénie sera également prête.

Adieu donc, mes chers amis : au très vif plaisir de vous revoir si prochainement.

Votre affectionné

A auguste Duméril.

Si Léon[8] pouvait mercredi, à Mulhouse, prendre 3 ou 4 bouteilles d’eau d’Orezza, ou, à défaut de celle-ci, de quelque autre eau ferrugineuse, (Spa, ou Schwarzbach, je crois), je lui en serais reconnaissant.

Nous lui envoyons toutes nos amitiés.


Notes

  1. Le docteur Charles Édouard Lecointe.
  2. Adèle Duméril, épouse de Félix Soleil et fille d’Auguste ; elle vient d’accoucher de son 3e enfant, Pierre.
  3. Eugénie Duméril, épouse d’Auguste Duméril.
  4. Marie et Léon Soleil, les deux aînés.
  5. Sophie, domestique chez les Duméril.
  6. Pauline, domestique chez les Soleil.
  7. Félix Soleil vient d’être nommé à la banque de Chaumont.
  8. Léon Duméril.

Notice bibliographique

D’après le livre de copies : Lettres de Monsieur Auguste Duméril 2me volume (pages 605-609)

Pour citer cette page

« Dimanche 12 juin 1870. Lettre d’Auguste Duméril (Paris) à son frère Louis Daniel Constant Duméril et son épouse Félicité Duméril (Morschwiller) », Une correspondance familiale (D. Poublan et C. Dauphin eds.), https://lettresfamiliales.ehess.fr/w/index.php?title=Dimanche_12_juin_1870&oldid=58795 (accédée le 18 décembre 2024).

D'autres formats de citation sont disponibles sur la page page dédiée.