Samedi 21 avril 1917

De Une correspondance familiale


Lettre de Damas Froissart (Paris) à son fils Louis Froissart (au front)

original de la lettre 1917-04-21 page 1.jpg original de la lettre 1917-04-21 page 2.jpg


Paris le 21 / 4 17

Mon cher …Téléphoniste

Eh bien ! tu en as eu des choses à téléphoner, de jour et de nuit, depuis ta lettre du 12, la dernière qui nous soit parvenue !

Je voudrais bien savoir comment tu as résisté à tous tes ennemis, les boches, de tous calibres, qui devaient être bien en peine d’atteindre [tes observatoires] (successifs, si tu as avancé), la pluie atroce qui a dû bien paralyser votre attaque, les insomnies et peut-être un régime alimentaire médiocre. Sans compter les gaz qui se sont peut-être reproduits ? Que n’avez-vous eu un temps meilleur ! Bien qu’il rende les gaz moins faciles à émettre [contre vent].

Nous avons bien pensé à toi : c’est dur de penser ruminer que toi aussi, te voilà dans la fournaise.

Tâche de trouver moyen de nous envoyer souvent le mot qui indique… que tu vis !

Je pense que tu as reçu les 2 lettre successives où je te parlais d’avancement : nous sommes ennuyés de savoir que le protecteur naturel[1] sur qui il était agréable de pouvoir Compter a dû aller se soigner : qui le remplace ? et à qui me conseilles-tu de m’adresser pour signaler ton cas ? Pierre[2] connaît-il ton Commandant de Bataillon ? Quel est votre Colonel ou votre Lieutenant Colonel, ou l’officier supérieur qui commande vos 6 batteries ? M’engages-tu à écrire au Commandant quoique malade, pour qu’il écrive à son tour [ ]. Sais-tu s’il y a un certain nombre de « soldats de tous grades », (dans vos 6 Batteries) qui, par leur instruction générale et leur attitude [seront] dans le cas d’être proposés, comme toi, pour aller à Fontainebleau ?

Nous sommes sans nouvelles récentes de Pierre : je le crois toujours en Alsace.

Quant à Jacques[3], ta mère[4] t’a peut-être dit qu’il a été prendre une section, de ses voitures, toute neuve à Dijon et qu’il doit être à 20 km à l’ouest de la ville où il a été mobilisé. Il n’est donc pas impossible que vous vous rencontriez. J’espère qu’il n’y aura pas lieu de t’évacuer : ça lui incomberait peut-être, bien que, théoriquement, sa mission soit de transporter du matériel.

Michel[5] est sorti hier de l’hôpital avec un congé de convalescence d’un mois : il compte aller faire un petit séjour à Guérigny[6] (où tu l’as précédé), partant, lundi, d’ici, avec son hôte qui vient voir sa femme[7] demain : tu sais qu’elle a eu un bébé ?

Je t’écris d’un lit qui fait concurrence au tien, à celui de ta chambre de Paris : il en fait exactement le pendant par rapport au mur de séparation des 2 appartements : il dissimule aussi sa qualité de lit en gisant par terre et en se recouvrant d’un rideau décoratif. J’attends là-dessus que je puisse me chausser. Mes misères du pied gauche s’étant envenimées depuis un certain temps et surtout parce que j’ai fait, extra muros, à Noisy-le-grand, une très longue ballade pour assister à des essais importants de motoculture, samedi dernier mais je crains que ce bobo (peu gênant tant qu’il s’est tenu plus haut que la chaussure) ne soit souvent bien gênant à l’avenir, maintenant qu’il est descendu jusqu’à la cheville. Mes 65 ans qui s’ouvriront dans un mois seront marqués par une dégringolade notable de mes facultés locomotrices.

Degroote[8] (toujours à Paris) rentre d’un séjour à Hazebrouck avec une permission qu’il a motivée, tu ne le devinerais jamais… par la naissance d’Odile[9] ! Anne Marie[10], convalescente d’oreillons, va bien et reste seule atteinte de cette misère.

Nous avons eu dimanche ton oncle Paul[11] et Cécile Max[12] : ils ont fait le voyage annuel en Normandie. Jean[13] instructeur mitrailleur au DD du 365e me demande d’intervenir pour qu’on l’appelle au front comme chef de section de mitrailleur (et non pas dans une Compagnie ordinaire) J’écris à son Lieutenant Colonel qui est de Lille.

Adresse de Jacques : sous-lieutenantCommandant la TM[14] 583 (par [BCM Paris])

Michel téléphonant un soir à votre jeune ami de Kainlis[15] apprenait que son frère[16], celui que la Guerre a trouvé ayant fait un an d’X a été tué à Saint-Quentin. Il a déjà un frère[17] tué, m’a dit Michel !!!

Les Russes sont bien embêtants avec leur révolution. J’ai peur que vous ayez devant vous trois des divisions qui seraient restées là-bas, s’il y avait une armée digne de ce nom devant eux.

Thomas[18] est parti les évangéliser.

Je t’embrasse bien tendrement, mon cher Petit,

D. Froissart


Notes

  1. Le commandant Charles Marc.
  2. Pierre Froissart, frère de Louis.
  3. Jacques Froissart, frère de Louis.
  4. Emilie Mertzdorff, épouse de Damas Froissart.
  5. Michel Froissart, frère de Louis.
  6. Guérigny dans la Nièvre chez Louis Arène.
  7. Anne Marie Chantre, épouse de Louis Arène.
  8. Henri Degroote.
  9. Odile Degroote.
  10. Anne Marie Degroote.
  11. Paul Froissart.
  12. Cécile Dambricourt, épouse de Maximilien Froissart (fils de Paul).
  13. Jean Froissart (fils de Paul).
  14. TM : transport de matériel.
  15. René de Cassain de Kainlis.
  16. Henri de Cassain de Kainlis.
  17. Gaëtan de Cassain de Kainlis.
  18. Albert Thomas (1878-1932), député socialiste, ministre de l'Armement depuis décembre 1916, revient en Russie en avril 1917.

Notice bibliographique

D’après l’original

Pour citer cette page

« Samedi 21 avril 1917. Lettre de Damas Froissart (Paris) à son fils Louis Froissart (au front) », Une correspondance familiale (D. Poublan et C. Dauphin eds.), https://lettresfamiliales.ehess.fr/w/index.php?title=Samedi_21_avril_1917&oldid=53729 (accédée le 22 décembre 2024).

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