Samedi 1er décembre 1917

De Une correspondance familiale


Lettre d’Émilie Mertzdorff, épouse de Damas Froissart (Paris) à son fils Louis Froissart (mobilisé)


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1er Décembre 17

Mon cher enfant,

Tu devines avec quelle émotion nous avons lu ta lettre. Nous avions bien le sentiment que tu passais un rude moment. Enfin !... c’est passé peut-être maintenant et le bon Dieu t’a protégé. Ce n’est pas toujours aux endroits les plus dangereux qu’on risque le plus : témoin le pauvre Jules LeGentil qui, après avoir fait pendant 30 mois toutes les attaques du 1er Corps (ce n’est pas peu dire), n’y a pas reçu une égratignure et qui, se croyait désormais à l’abri, vient se broyer, se concasser sur une auto ! nous avons des détails navrants : les 2 jambes cassées, l’une à 3 l’autre à 2 places !... On ne le considère néanmoins comme n’étant pas en danger et on déclare la guérison complète tout à fait certaine. Mais ce sera très long… de ceci sans doute, Laure[1] ne se plaindra pas. Elle espère le voir évacuer bientôt sur Berck ou Paris-Plage car on garde les malades le moins longtemps possible à Dunkerque. Nous n’avons pas ces détails directement de Laure qui est partie Mardi pour Bourbourg[2] mais de Bamières où l’on avait ouvert la lettre de sa belle-sœur Mme Duriez-LeGentil[3] arrivée quelques heures après son départ.

Nous avons eu la surprise de voir arriver Pierre[4] ce matin à 11h ½ alors que, le sachant « reparti à la guerre », nous ne l’attendions plus avant quelques jours. Il a revu les [pays] de la Somme et s’acheminait vers notre ancien archevêché quand le mouvement s’est trouvé arrêté et on n’a pas poussé jusqu’au but assigné aux troupes d’exploitation. Ils repartent prochainement pour une autre direction. Il est invité par le jeune Michel[5] et ira le voir à la fin de sa permission. Son père[6] et ses sœurs[7] doivent d’ailleurs arriver prochainement à Paris pour le mariage de Lily[8] qui a lieu le 4 et il s’attend à repartir avec eux. Bonne manière de se voir. On dit qu’il n’y a rien de tel que de voir quelqu’un en voyage pour juger de son caractère, de son degré de patience ou d’égoïsme.

M. Martin[9] part demain matin, ses 15 jours étant plus que terminés et ayant d’ailleurs été très remplis et très bien utilisés pour le présent et pour l’avenir. Nous attendons ce soir Maurice Vandame pour 48 heures. J’espère qu’Élise[10] ne sera pas occupée avant la fin de ces deux jours. Jacques dit qu’on ne parle plus de permission mais son moral est si [ ] qu’il entretient celui de sa femme et de votre papa[11], ce qui est moins aisé.

J’allais oublier de te conter l’histoire de Guy[12]. Elle vaut la peine ! tu la trouveras au supplément dont j’envoie la copie à Michel[13].

Je t’embrasse tendrement, mon cher petit

Emy

Supplément

Mercredi, en sortant de la séance de rentrée de l’Institut catholique, Guy et sa mère[14], pressés d’aller prendre des nouvelles de Mme Deschamps[15] très gravement malade d’une congestion pulmonaire, avaient quitté la salle un peu avant la fin et arrivaient des premiers dans la rue, lorsque 2 sergents de ville l’arrêtent Guy : « Monsieur montrez-nous vos papiers, votre livret militaire ! – Mais je ne l’ai pas sur moi, je puis aller le chercher chez moi. – Alors suivez-nous au commissariat. »

Là long et minutieux interrogatoire, on le fouille, on veut connaître la provenance des 25 F qu’il a dans son porte-monnaie, lui persuader qu’on l’avait vu la semaine précédente au Sacré-Cœur, qu’il simule une blessure à la main &&. Enfin devant ses explications et dénégations, on lui demande à qui il on pourrait s’adresser dans le voisinage pour s’assurer de son identité.

Et lorsqu’il a eu cité le nom du Commandant Froissart, comme étant celui de son beau-père, coup de théâtre, car son interlocuteur n’était autre que M. Vallière qui a des parents à Beaurainville et nous connaît bien. Immédiatement il téléphone à ton père et tout a été fini, mais Guy n’en reste pas moins furieux de l’aventure et de savoir son nom inscrit sur le registre du Commissariat. Du coup, il s’est fait délivrer une carte d’identité et ton père ayant été, sur sa demande, chercher des explications au Commissariat, on lui a dit qu’on avait cru reconnaître en lui un des nombreux déserteurs que l’on recherche à Paris et que les agents, ayant une prime pour chaque capture, étaient très âpres à la besogne. Un peu trop, vraiment !...


Notes

  1. Laure Froissart, épouse de Jules Legentil.
  2. Bourbourg près de Dunkerque.
  3. Marie Élise Legentil, épouse de Paul Gustave Louis Bernard Duriez.
  4. Pierre Froissart, frère de Louis.
  5. Michel Daum.
  6. Antonin Daum.
  7. Antoinette (future épouse de Pierre Froissart) et Françoise Daum.
  8. Lily non identifiée.
  9. Edouard Martin.
  10. Élise Vandame, épouse de Jacques Froissart.
  11. Damas Froissart (le « commandant Froissart »).
  12. Guy Colmet Daâge, gendre de Damas Froissart.
  13. Michel Froissart, frère de Louis.
  14. Thérèse Marie Salmon, veuve de Georges Alexandre Colmet Daâge.
  15. Lucie Glasson, épouse d’Auguste Deschamps.

Notice bibliographique

D’après l’original

Pour citer cette page

« Samedi 1er décembre 1917. Lettre d’Emilie Mertzdorff, épouse de Damas Froissart (Paris) à son fils Louis Froissart (mobilisé) », Une correspondance familiale (D. Poublan et C. Dauphin eds.), https://lettresfamiliales.ehess.fr/w/index.php?title=Samedi_1er_d%C3%A9cembre_1917&oldid=58851 (accédée le 29 mars 2024).

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