Samedi 14 octobre 1916 (A)

De Une correspondance familiale

Copie d’une lettre de Guy de Place (mobilisé) à Charles Zwingelstein (Vieux-Thann)

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Copie d’une lettre de M. de Place

Le 14 Octobre 1916.

Mon cher Zwingelstein

C’est avec plaisir que j’ai reçu votre écrit[1] et que je viens un peu causer affaires avec vous. Pour ce qui regarde la demande de MM. Schwob je vais en causer d’abord avec M. Froissart[2] qui vous dira sans doute ce que nous aurons décidé.

Vous ne vous étonnerez pas qu’après deux années d’absence pendant lesquelles d’autres préoccupations ne m’ont pas manqué, certains points m’échappent actuellement. En conséquence je vous demanderais de me rafraîchir les idées ; je vous renvoie le tableau du matériel à vendre : vous voudrez bien indiquer en encre rouge dans la 1ère colonne, en dessous de l’Indication du matériel, où il se trouvait lorsqu’il était utilisé, et si au moment de la guerre il était encore en place ou bien démonté. Cette question intéresse particulièrement les chaudières. Je crois me souvenir que celles de l’Apprêt étaient encore en place. Celles du NouveauBâtiment en face le grillage contre la rue qui va à l’Église étaient démontées n’est-ce pas ? Et ceci m’amène à envisager un autre point de vue assez important relativement à la reprise du Travail. Ne croyez-vous pas qu’il y aurait peut-être intérêt à conserver pour ce moment-là l’une ou l’autre de ces anciennes chaudières. Cela dépend de l’état de nos tuyauteries générales et de la centrale. Je me demandais s’il ne serait pas prudent de conserver par exemple celles de l’apprêt si elles sont encore montées, de même pour la machine à vapeur, n’y aurait-il pas intérêt à la garder sous la main comme petite machine de secours à monter rapidement pour les débuts. Qu’en pensez-vous ? Il est vrai qu’il faudrait avoir un moteur à monter dessus.

T.S.V.P.

Maintenant causons prix : J’ai l’impression que ceux que vous indiquez comme prix minimum sont beaucoup trop bas : les gens qui vont acheter ce matériel vont le revendre au cours du jour. On peut je crois admettre que les prix de machines, chaudières etc. ont doublé à l’heure actuelle : par conséquent si une machine d’occasion est en bon état, et si on la vend au prix auquel on l’a achetée c’est encore la moitié du prix auquel on l’a acheté de la machine neuve cours du jour. Ce serait donc déjà, vu le cours du jour, un rabais considérable et peut-être même trop grand.

Je vois vendre ici des transmissions d’occasion : les arbres 70 F, les poulies 100 F, des vieilles bâches-réservoir 60 F les 100 kg. On vend de 20 à 25 F les riblons[3], c’est à dire ferraille inutilisable : boulons, rivets hors service, découpures de tôle, etc. C’est vous dire qu’on peut demander me semble-t-il, plus que vous m’indiquez soit pour les réservoirs soit pour les tuyaux Mannesmann[4] en bon état.

Sans compter que nous avons sans doute bien des [tuyaux] de fer abîmés et ne pensez-vous pas que nous serons peut-être heureux à un moment donné de n’avoir pas vendu nos vieux.

Tout cela dépend bien entendu de l’état où ils se trouvent et de bien des facteurs que vous avez sous la main alors que bien des documents me manquent.

Ce que je vous ai dit au sujet des prix s’applique particulièrement au matériel que nous voulions déjà vendre avant la guerre. Pour le matériel qui a souffert du fait de la guerre (qu’il soit ou non sur la liste de ce que nous avions à vendre avant la guerre) la grosse question est évidemment celle de la constatation des dégâts, et la question se pose autrement.

Vous avez vu dans les journaux comment se fera l’indemnité aux sinistrés. Si vous avez une machine achetée 10 000 F qui en raison de son usure vaut 2 000  F de moins c. à d. 8 000 F mais qui neuve vaut après la guerre non plus 10 000 mais 15 000, on donnera 15 000 moins 2 000, soit 13 000 F.

à suivre
Suite

Pour que vous eussiez intérêt à vendre à Gendre il faudrait qu’il vous paye ces 13 000 F, car je ne vois pas du tout comment il ferait constater actuellement les dégâts et comment nos droits à l’indemnité seraient sauvegardés s’il emporte la machine. Il est possible que la machine à vendre ait assez d’intérêt actuel pour que Gendre passe sur le prix ; il est possible aussi que pour l’une ou l’autre machine, la dégradation de guerre étant minime, et la machine n’ayant pas d’intérêt par elle-même, nous ayons avantage en raison de l’âge de la machine à accepter une offre de Gendre. Mais il faut que ce soit une question d’espèce, à étudier dans chaque cas particulier, car je crois que pour toute machine vendue il ne faudra plus compter sur une indemnité quelconque. Et je crains même que le fait même d’en avoir vendu ne nous donne des ennuis avec d’administration pour le règlement.

Veuillez réfléchir à tout ce que je viens de vous dire, donnez-moi votre avis très franchement, faites-moi les offres éventuelles de Gendre en spécifiant pour chaque machine son utilité future pour nous, le montant de l’usure, de la dégradation de guerre, la valeur probable qu’elle aura après la guerre et nous pourrons voir alors dans chaque cas particulier ce qu’il y a lieu de faire.

A la hâte et cordialement à vous

signé G. de Place


Notes

  1. Voir la lettre du 6 octobre.
  2. Damas Froissart.
  3. Riblon : déchet de fer ou d'acier ajouté à la fonte pour produire de l'acier.
  4. Le groupe industriel Mannesmann est fondé par Reinhard Mannesmann (1856-1922) et son frère Max (1857-1915) qui invente en 1890 un procédé pour fabriquer des tubes à paroi épaisse à partir d'acier commercial.

Notice bibliographique

D’après l’original

Pour citer cette page

« Samedi 14 octobre 1916 (A). Copie d’une lettre de Guy de Place (mobilisé) à Charles Zwingelstein (Vieux-Thann) », Une correspondance familiale (D. Poublan et C. Dauphin eds.), https://lettresfamiliales.ehess.fr/w/index.php?title=Samedi_14_octobre_1916_(A)&oldid=53815 (accédée le 21 novembre 2024).

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