Samedi 10 mai 1879
Lettre d’Emilie Mertzdorff (Paris) à son père Charles Mertzdorff (Vieux-Thann)
Samedi 10 Mai 1879
Mon père chéri,
Quel dommage que je ne puisse pas t’adresser la lettre anglaise qu’il me faut écrire, je trouverais beaucoup plus de choses à te dire car les idées n’ont pas abondé jusqu’à présent et mon papier est encore bien blanc, je ne sais quelle muse invoquer, je n’en connais malheureusement pas qui se soit adonnée au style épistolaire, surtout en anglais.
J’ai reçu ta lettre ce matin et oncle[1] est si indigné de ton peu de pitié pour ma misère qu’il m’a promis de m’avancer de l’argent jusqu’à ce que tu m’en donnes : j’aime mieux cela parce que Marie[2] n’aime pas avoir de grosses dépenses sur son livre et elle ne m’avancera peut-être que de toutes petites sommes.
Du reste je t’assure que ce n’est pas ce que j’ai dépensé pour moi qui m’a ruinée, je n’ai sur la conscience que l’emplette d’un fuchsia, faite il y a 2 ans et encore est-ce toi qui en a payé les ¾, il est vrai que je n’ai pas grand mérite à cela car on me donne toujours ce dont j’ai envie avant même que j’aie eu le temps de le désirer.
Marie vient de partir avec tante[3] pour aller au cours de M. Beauregard[4], elle ne fait presque plus que peindre ou dessiner maintenant ; aussi je pense qu’elle finira par devenir une artiste distinguée. Hier elle a été toute la journée chez M. Flandrin[5].
Ce matin Tante a été chercher Henri Trézel à 8h1/2 pour qu’il se promène dans la ménagerie et qu’il déjeune avec nous. C’est un bien drôle de petit homme, il a été d’une sagesse remarquable. Le pauvre Jean[6] n’a pas pu le suivre dans sa promenade parce qu’il est un peu souffrant ; il était très fatigué hier et s’est couché dans la journée ; aujourd’hui il a passé sa matinée au lit et on craint qu’il n’ait un peu mal à la gorge. C’est vraiment bien ennuyeux de le voir toujours aussi dolent et c’est décourageant pour cette pauvre tante Cécile[7] qui s’exile tous les hivers pour tâcher de lui donner un peu de forces. On est très embarrassé en ce moment sur le parti à prendre pour les études : on ne veut pas le faire travailler beaucoup, aussi on trouve le collège trop fatigant ; mais d’un autre côté, si on lui donne un professeur chez lui, on retombera dans cette organisation qu’on trouvait si mauvaise les autres années, le travail continuera à l’ennuyer et la plupart du temps il passera ses récréations dans sa chambre au lieu de jouer en plein air. Il n’y a encore rien de décidé jusqu’à présent et on hésite beaucoup sur le parti à prendre.
Il fait toujours froid, et on se demande qu' quand l’été arrivera, il serait bien temps cependant qu’il fît un peu chaud car l’hiver a été assez long. Ce matin j’avais si froid que j’ai pris mon manchon pour aller dans la ménagerie, au grand scandale de Marie qui trouvait la chose fort ridicule. Mais pour moi, trouvant que le froid était encore beaucoup plus fort que le ridicule, et je l’ai laissée dire.
Il est déjà 2 heures et j’avais la prétention de faire encore tant de choses avant le cours de géographie[8], c’est effrayant de voir le temps passer si vite, je n’ai pas encore étudié mon piano aujourd’hui !
Adieu, mon bon père, je t’embrasse de tout mon cœur. Tu sais que je t’aime bien aussi et tu pourras faire la même multiplication que celle que tu m’as proposée dans ta lettre pour savoir si c’est beaucoup.
Ta fille qui t’aime,
Emilie
Notes
- ↑ Alphonse Milne-Edwards.
- ↑ Marie Mertzdorff, sœur d’Emilie.
- ↑ Aglaé Desnoyers, épouse d’Alphonse Milne-Edwards.
- ↑ Ange Louis Guillaume Lesourd-Beauregard.
- ↑ Le peintre Paul Flandrin.
- ↑ Jean Dumas.
- ↑ Cécile Milne-Edwards, épouse de Ernest Charles Jean Baptiste Dumas.
- ↑ Cours de géographie avec Caroline Kleinhans.
Notice bibliographique
D’après l’original
Pour citer cette page
« Samedi 10 mai 1879. Lettre d’Emilie Mertzdorff (Paris) à son père Charles Mertzdorff (Vieux-Thann) », Une correspondance familiale (D. Poublan et C. Dauphin eds.), https://lettresfamiliales.ehess.fr/w/index.php?title=Samedi_10_mai_1879&oldid=35298 (accédée le 15 novembre 2024).
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