Mercredi 9 novembre 1870

De Une correspondance familiale

Lettre de Jeanne Target, épouse de Jules Desnoyers (Paris) à sa fille Eugénie Desnoyers, épouse de Charles Mertzdorff (Vieux-Thann)

original de la lettre 1870-11-09 page1.jpg original de la lettre 1870-11-09 page2.jpg


Mercredi 9 Octobre 70[1]

Je ne sais vraiment pas, Ma chère petite fille, comment nous pouvons vivre ainsi séparés sans la moindre nouvelle de de vous mes chers enfants[2]. Par moment nous broyons du noir à votre occasion, d'autres fois nous espérons que vous êtes en Suisse, cette pensée nous calme un peu, ho ! qu'un simple petit mot de vous nous ferait du bien !

Mais impossible, ces affreuses ceintures dont nous sommes étreints ne laissent passer rien de ce qui nous intéresse. La voie des airs seule, nous est ouverte pour livrer passage à nos pensées qui sont si souvent tournées vers vous. Plusieurs ballons partent par jour il en passe souvent sur nos têtes ; rien n'est plus émouvant que d'apercevoir ces messagers dans l'espace, livrés au gré du vent et de tous les malheurs qui peuvent les menacer porteurs des sentiments les plus intimes de chacun. Nous allons tous bien. Papa[3] travaille à la Bibliothèque. Julien[4] dans son fort va très bien toujours. Alphonse[5] est remis d'une indisposition venue tout à coup dans la nuit de Lundi à mardi, il n'y pense plus.

Alfred[6] Alphonse et toute la gardenationale sont mobilisés c'est une levée en masse toutes catégories. Il faut du courage et de l'énergie, on en a. Thiers[7] s'est montré d'un dévouement pour son pays sans égal malgré les difficultés on croit qu'il agit encore auprès des puissances, la Russie surtout.

Les canons nous menacent bouches béantes ; les nôtres aussi sont bien braqués on les entend souvent.

M. Auguste[8] ne va pas bien son état s'aggrave quelle peine pour sa pauvre femme. Adèle[9] est toujours auprès de ses pauvres parents <tous sont> sans nouvelles de son mari.

Ma chérie s'il y a quelque chose de nouveau demain, je te l'écrirai.

Nous vous embrassons tous bien bien fort et vous aimons toujours comme vous savez.

Mère amie AD.

L'armistice dont je te parlais dans ma dernière lettre est rejetée par l'ennemi, on ne se bat pas encore on est décidé à se défendre à outrance nous avons des vivres encore pour longtemps.


Notes

  1. Le mercredi 9 novembre.
  2. Eugénie Desnoyers, son époux Charles Mertzdorff et les petites Marie et Emilie.
  3. Jules Desnoyers, bibliothécaire au Muséum.
  4. Julien Desnoyers, au fort d’Issy.
  5. Alphonse Milne-Edwards.
  6. Alfred Desnoyers.
  7. Adolphe Thiers est envoyé par Jules Favre, en septembre-octobre 1870, dans les capitales européennes à la recherche (vaine) d’aides diplomatiques.
  8. Auguste Duméril, époux d’Eugénie Duméril ; il décède le 12 novembre.
  9. Adèle Duméril, épouse de Félix Soleil, leur fille.

Notice bibliographique

D’après l’original.

Annexe

Ballon monté

Madame Mertzdorff

Vieux-Thann

Haut-Rhin

Pour citer cette page

« Mercredi 9 novembre 1870. Lettre de Jeanne Target, épouse de Jules Desnoyers (Paris) à sa fille Eugénie Desnoyers, épouse de Charles Mertzdorff (Vieux-Thann) », Une correspondance familiale (D. Poublan et C. Dauphin eds.), https://lettresfamiliales.ehess.fr/w/index.php?title=Mercredi_9_novembre_1870&oldid=35264 (accédée le 21 novembre 2024).

D'autres formats de citation sont disponibles sur la page page dédiée.