Mercredi 1er février 1792

De Une correspondance familiale


Lettre d’Honoré Castanet (Saint-Domingue) à son oncle Daniel Delaroche (Paris)


Honoré Castanet mort de blessures reçues dans les massacres de Saint-Domingue.

de Saint-Domingue, Pilate 1er février 1792

Mon cher Oncle, me voici enfin sur l’habitation de mon Père[1] depuis environ 15 jours ; vous devez déjà avoir reçu la nouvelle de mon heureuse arrivée au Cap après une traversée de 45 jours par une lettre où je vous marquais que je n’avais pas encore vu mon Père, et je vous donnais de fort petits détails. Je vais donc le faire en commençant depuis le moment où je m’embarquais à Dunkerque.

Nous mîmes à la voile à une heure après midi le 27 8bre 1791. Nous avions le meilleur vent qu’on puisse avoir, mais je ne jouissais guère de ce bonheur ayant assez mal au cœur et regrettant beaucoup la terre où je quittais de si bons parents ; au bout de 48 heures nous eûmes passé cette Manche que tout le monde redoutait si fort, je vis de loin Calais et Douvres. Dès que nous fûmes dans le grand océan, la mer devint plus grosse, tantôt nous étions perchés sur le sommet d’une montagne et tantôt nous étions au fond d’un précipice ; après avoir été ballottés de la sorte pendant une huitaine de jours pendant lesquels nous avancions beaucoup, le temps devint plus calme et les calmes nous prirent pendant assez longtemps.

Enfin le bon vent revint et nous nous mîmes à courir de côtés et d’autres pour tâcher de rencontrer quelque navire venant de St-Domingue pour nous en donner des nouvelles. Nous n’avons rencontré qu’une foule d’Anglais qui ne savaient que les anciennes ; enfin, le 39e jour, nous avons aperçu la terre qui se présentait sous la forme de deux pains de sucre : c’était la partie espagnole, Baie de Samaná.

Au bout de 6 jours, nous avons été à la vue du Cap où nous avons rencontré un navire qui nous a dit que le Port-au-Prince était brûlé et toute la colonie à feu et à sang. Nous pensions tous qu’il était mal informé, nous avons tiré le canon pour faire venir le pilote ; nous lui avons demandé si ces nouvelles étaient vraies, il nous a dit que non, que tout était dans la plus grande tranquillité. Mais à peine avons-nous jeté l’ancre qu’il nous annonce que tout ce que ce navire nous avait dit était vrai, qu’il ne pouvait pas nous en avertir sous peine de la vie. Toute la plaine du nord est incendiée, le mal est à son comble. C’en est fait de St-Domingue si des secours prompts en troupes, en munitions, en argent et en vivres ne sont ici dans peu de temps. 16 cents sucreries sont incendiées, tous les nègres en sont Brigands.

Je n’ai trouvé ni mon Père, ni M. Barrillon au Cap. Le premier l’avait quitté pour porter des secours en armes, en munitions et en vivres aux habitants que M. B. avait rassemblés au nombre de 25, qui s’est accru à celui de 150 environ avec lesquels ils ont sauvé leur quartier ; pas une paille n’y a été brûlée, pas un nègre ne s’y est révolté. Mon Père m’avait laissé une lettre entre les mains de M. Marius, une de ses connaissances, qui m’est venu chercher à bord. J’ai demeuré chez lui jusqu'à l’arrivée de mon Père que j’ai eu le plaisir d’embrasser, mais ça manqué être la dernière fois : il vient de faire une maladie sérieuse, à la suite des fatigues qu’il a éprouvées pendant cette révolution. Il est heureusement convalescent et j’espère qu’il sera entièrement remis dans peu de jours. Il me charge de le rappeler à votre souvenir.

Mes embrassades à mes Tantes, à mon Oncle et à tous mes Cousins[2]. Ils sont, ma foi, plus heureux en France que nous ici, environnés d’assassins et continuellement dans le carnage. Les morts ne me donnent plus mal au cœur comme celui que je vis à Paris. Je monte souvent à cheval pour me distraire.

Je termine ici ma lettre et me dis votre respectueux neveu qui est bien reconnaissant de toutes vos bontés.

H C

PS - J’écrirai dans peu de temps à un de mes cousins ou à une de mes Tantes, et je leur donnerai quelques détails sur l’habitation, sur ce que l’on appelle les brigands, je leur raconterai quelques-unes de leurs actions[3].


Notes

  1. Honoré Castanet est le fils de Denis Castanet et de Suzanne Vivier.
  2. Les tantes sont Marie Castanet (épouse de Daniel Delaroche) et sa sœur Elisabeth ; l’oncle est Jean Etienne say (veuf d’une autre sœur Castanet, Françoise) ; les cousins sont leurs enfants : Michel, Alphonsine, Etienne François Delaroche, et Jean-Baptiste, Jean-Honoré dit Horace et Louis Say.
  3. Voir lettre du 9 novembre 1792.

Notice bibliographique

D’après le site http://xaviersoleil.free.fr/genealogie.html

Pour citer cette page

« Mercredi 1er février 1792. Lettre d’Honoré Castanet (Saint-Domingue) à son oncle Daniel Delaroche (Paris) », Une correspondance familiale (D. Poublan et C. Dauphin eds.), https://lettresfamiliales.ehess.fr/w/index.php?title=Mercredi_1er_f%C3%A9vrier_1792&oldid=34996 (accédée le 18 avril 2024).

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