Mardi 3 juillet 1877

De Une correspondance familiale

Lettre de Marie Mertzdorff (Paris) à son père Charles Mertzdorff (Vieux-Thann)

original de la lettre 1877-07-03 pages 1-4.jpg original de la lettre 1877-07-03 pages 2-3.jpg


Paris le 3 Juillet 1877

Mon Père chéri,

La lettre d’Emilie[1] de Dimanche t’a donné probablement un récit détaillé de notre petite excursion à Montmorency et même pour donner à sa lettre un aspect tout à fait campagnard je crois qu’elle l’a assaisonnée de pâtés car tout le temps qu’elle t’écrivait elle soutenait une lutte acharnée contre oncle[2], pendant ce temps je me délectais dans le magasin d’antiquités[3] qui malheureusement approche de sa fin ; nous avons ensuite un peu dessiné mais nous nous étions très mal organisées de sorte que nous n’avons pas fait grand-chose, sans Emilie je crois même que je n’aurais rien fait du tout mais elle voulait absolument essayer et je ne voulais pas rester en arrière. Après le dîner nous nous sommes encore promenés dans le jardin, comme il faisait très chaud et que les fraisiers baissaient la tête nous les avons arrosés et mon épaule peu habituée à ce genre de travail s’en ressent encore un peu. Lundi matin nous devions repartir à 7h pour Paris ; juge de notre déception en nous réveillant par une pluie battante n’ayant que des robes de toile et un parapluie pour toute consolation ; nous nous levons nous nous habillons puis malgré la pluie il faut partir mais où sont nos chapeaux ? Impossible de nous le rappeler. Nous arpentons toute la maison protestant qu’ils ne peuvent être restés dans le jardin mais Jean[4] moins confiant que nous-mêmes dans notre ordre va faire un tour dehors et retrouve enfouis dans l’herbe au pied d’un arbre nos pauvres chapeaux ! Je t’assure qu’oncle a assaisonné les infortunés rubans mouillés de bien des taquineries et elles étaient bien méritées nous étions et sommes encore couvertes de confusion au souvenir de notre étourderie heureusement que c’était nos chapeaux de toujours, que l’arbre les a presque entièrement empêchés d’être mouillés et maintenant qu’ils ont reçu un petit coup de brosse ils ont repris leur ancienne apparence. Le retour s’est bien effectué et malgré la pluie et les vêtements mouillés personne ne s’est enrhumé.

Je vais dans un instant aller au bain froid avec Mme Pavet[5] et Marthe[6], pauvre père il est probable qu’en ce moment tu n’es pas aussi heureux que moi car je suis bien persuadée que tu n’as pas échappé à la grande noce[7] que je vois d’ici se promener dans les salons Henriet ; et pauvre Jeanne je ne peux m’empêcher de penser à elle. J’espère qu’une bonne lettre de toi va venir nous donner bien des détails sur la cérémonie car tu sais que nous sommes de dignes petites-filles d’Eve et que les récits nous amusent toujours.

Mme Berger[8] sort d’ici ; elle va bientôt partir pour le bord de la mer (probablement Villers) puis elle ira à Thann passer un ou deux mois ; elle avait de très bonnes nouvelles de Mme Deguerre[9].

Ce matin je me suis bien amusée à ma leçon de dessin parce que j’ai fixé avec une liqueur que Mlle D.[10] m’avait achetée mon premier fusain ; le fixatif Rouget[11] que j’ai employé sent beaucoup l’eau de vie (était-ce cela que tu avais essayé) et il fixe si bien qu’il m’a été impossible d’effacer après un petit coup de crayon manqué.

Au revoir mon bon père, j’espère à bientôt car il y a longtemps que tu ne nous a écrit on ne peut plus parler que de lettre car je vois bien vilain papa, que tu ne viendras pas et qu’il faudra d’abord que nous t’allions trouver mais sais-tu bien que nous ne sommes qu’au [1er] Juillet.
Je t’embrasse de toutes mes forces comme je t’aime.
ta fille
Marie


Notes

  1. Emilie Mertzdorff, sœur de Marie.
  2. Alphonse Milne-Edwards.
  3. Le Magasin d'antiquités, roman de Charles Dickens(1812-1870), dont la première traduction, par Alfred Des Essarts, paraît en 1857.
  4. Jean : un domestique, ou bien Jean Dumas ?
  5. Louise Milne-Edwards, veuve de Daniel Pavet de Courteille.
  6. Marthe Pavet de Courteille.
  7. Jeanne Henrietépouse Paul Baudry.
  8. Julie André, épouse de Léonce Berger ?
  9. Marie André, épouse d’Antoine Albert Deguerre, qui vient d’accoucher d’André Deguerre.
  10. Marie Louise Duponchel, professeur de dessin.
  11. Le fixatif Rouget est employé par des artistes, tel Jean-François Millet (1814-1875).

Notice bibliographique

D’après l’original

Pour citer cette page

« Mardi 3 juillet 1877. Lettre de Marie Mertzdorff (Paris) à son père Charles Mertzdorff (Vieux-Thann) », Une correspondance familiale (D. Poublan et C. Dauphin eds.), https://lettresfamiliales.ehess.fr/w/index.php?title=Mardi_3_juillet_1877&oldid=40963 (accédée le 7 novembre 2024).

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