Mardi 29 mars 1864

De Une correspondance familiale


Lettre de Félicité Duméril (Morschwiller) à Eugénie Desnoyers, future épouse de son gendre veuf (Paris)


Morschwiller 29 Mars 1864

Il y a longtemps ma bien chère enfant, que je ne me suis donné le doux contentement de venir causer avec toi : mais je savais que tu avais de nos nouvelles et j'en avais aussi des tiennes. A son retour notre bon Charles[1] nous a donné sur vous tous des détails dont nous sommes toujours si avides, et depuis son départ de Paris je sais que ta bonne mère[2] s'est très bien trouvée du beau temps que nous avons eu la semaine dernière, de loin comme de près, je suis avec elle, je l'aime tant, et il me serait si doux et si précieux de lui montrer autrement que par des mots mon attachement. Elle s'est associée à ma vie comme je m'associe à la sienne, elle a connu mes cruelles douleurs et les a pleurées en amie, en sœur profondément attachée et dévouée : mais aussi tout ce qu'elle a été pour moi dans ce monde, est profondément dans mon pauvre cœur et le sera jusqu'à ma dernière heure. Lorsque nos chères petites[3] arriveront dans la maison de tes bons parents[4], je m'agenouillerai, ma chère enfant, pour remercier Dieu qui, dans ma douleur vient à mon aide d'une manière si marquée. Ma bien aimée fille[5] qui est au Ciel bénira sa tendre, sa dévouée amie dont tous les sentiments sont si beaux, si purs ! Elle priera aussi pour ses pauvres parents, pour Monsieur et Madame Desnoyers qui sont pour elle des seconds père et mère. Quant à moi, je reste à Morschwiller mais je vous suivrai tous du cœur et de la pensée. Ce sera moins présumer de mes forces.

Nos chères petites sont bien gentilles tu vas en juger, ma chère enfant. Toutes deux et surtout Mimi se sentent attirées vers toi et t'appelleront de suite maman. Elles ont une grande mémoire et bien de l'intelligence, Mimi sait lire et aime beaucoup la lecture, elle a, tu le sais, de bonnes petites amies[6] bien élevées qui demeurent dans le voisinage malheureusement elles ont le défaut d'avoir un accent désagréable dont notre petite Marie se ressent. Cette petite <perrette> appelle toujours Georges Heuchel[7] son mari ; elle me disait dernièrement : je crois bien que nous ne nous marierons pas ensemble mais nous nous appelons mari et femme parce que nous sommes des amis intimes. On ne sait vraiment pas où elle va chercher toutes ces idées. Ce sera pour toi une vraie petite amie bien affectueuse et tendre, elle voit tout, et plus d'une fois j'ai remarqué qu'elle saisit à merveille les nuances de toutes choses : quant à sa gentille petite sœur tu la trouveras maigre ; l'indisposition qui a régné longtemps dans le pays et dont elle a été atteinte à plusieurs reprises, l'a changée, elle a besoin de beau temps et de respirer le grand air ; sans être jolie, elle est charmante cependant par sa grâce et sa gentillesse. Elle dit qu'elle n'est plus un poupon, qu'elle est une grande fille puisqu'elle a trois ans. J'ai été bien impressionnée la semaine dernière par l'accident cruel arrivé à Madame Heuchel[8] qui s'est démis le genou en tombant d'une caisse sur laquelle elle était montée, mais grâce à Dieu son état ne donne aucune inquiétude, le genou a été bien remis, seulement il faut de la patience car il s'agit d'un repos absolu pendant six semaines. Adieu ma bien chère enfant je t'embrasse avec toute la tendresse possible et nous te chargeons pour tes bons parents et ma chère Aglaé[9] de tout ce que le cœur fait dire.

F.D.


Notes

  1. Charles Mertzdorff revient d’un voyage à Paris où il a rencontré la famille de sa future épouse Eugénie Desnoyers.
  2. Jeanne Target, épouse de Jules Desnoyers.
  3. Marie (Mimi) et Emilie Mertzdorff, filles de Charles et de Caroline Duméril (décédée).
  4. Les Desnoyers habitent rue Cuvier, à Paris.
  5. Caroline Duméril, première épouse de Charles Mertzdorff.
  6. Probablement Marie et Hélène Berger.
  7. Georges Léon Heuchel, fils de Georges Heuchel.
  8. Elisabeth Schirmer, épouse de Georges Heuchel.
  9. Aglaé Desnoyers, épouse d’Alphonse Milne-Edwards et sœur d’Eugénie.

Notice bibliographique

D’après l’original.

Pour citer cette page

« Mardi 29 mars 1864. Lettre de Félicité Duméril (Morschwiller) à Eugénie Desnoyers, future épouse de son gendre veuf (Paris) », Une correspondance familiale (D. Poublan et C. Dauphin eds.), https://lettresfamiliales.ehess.fr/w/index.php?title=Mardi_29_mars_1864&oldid=51618 (accédée le 8 décembre 2024).

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