Mardi 1er novembre 1870 (A)

De Une correspondance familiale


Lettre d’Auguste Duméril (Paris) à son frère Louis Daniel Constant Duméril et son épouse Félicité Duméril (Morschwiller)


livre de copies, vol. 2, p. 630 (lettre 1870-11-01A).jpg livre de copies, vol. 2, p. 631 (lettre 1870-11-01A).jpg livre de copies, vol. 2, p. 632 (lettre 1870-11-01A).jpg


1er Novembre 1870.

Mes chers amis,

La question qu’on s’adresse toujours, en écrivant, est celle-ci : Les lettres écrites par ballon monté (n° 6-9) sont-elles arrivées ? La carte du 2 Octobre, par ballon non monté, sera-t-elle parvenue ?[1] Si toute cette correspondance, quelque restreinte qu’elle soit, a pu gagner Mulhouse, vous êtes au courant de tout ce qui nous concerne, sinon, vous êtes soumis, comme nous, à l’une des privations les plus pénibles : c’est-à-dire, à ne rien savoir de ceux que l’on aime, et dont on est éloignés : c’est plus triste encore que durant les séjours dans les pays d’outre-mer, où, du moins, à certaines époques, arrivent des navires, tandis que, comme on l’a dit, nous sommes ici dans une île isolée, au milieu de l’Océan, et dont les côtes ne sont abordables sur aucun point. Depuis mon n° 9, 21 Octobre, Auguste[2] a eu le regret de voir Paul[3] incorporé, en sa qualité d’exonéré de la classe de 1865, dans la garde mobile. Immédiatement équipé par l’Etat, il s’est dirigé jeudi dernier sur le fort d’Issy, d’où il a écrit à son père, dès samedi, une très affectueuse lettre, reçue hier. Vous comprenez combien a été douloureuse pour notre pauvre frère cette séparation, dans l’état de tristesse, où déjà il n’est que trop plongé. Nous aurions beaucoup désiré qu’il vînt s’établir au milieu de nous ; mais il a obstinément refusé, malgré nos plus vives instances, et celles de Paul. Cependant, dès le surlendemain du départ de Paul, il nous a promis (mais à la condition d’une pension mensuelle de 125) de venir, chaque jour, dîner avec nous. De cette façon, heureusement, il sera un peu moins isolé. Maintenant que Paul n’est plus là, il ne fera plus le service de la garde nationale, beaucoup trop dur pour lui, puisqu’on passe 24 h sur les remparts. Il va faire partie du conseil de famille de sa compagnie, où il est très considéré. Adèle[4], comme moi je le fais pour vous, écrit, par la même voie, à son mari, qui doit trouver bien triste sa solitude. Nous écrivons aujourd’hui, tous les deux, afin que vous sachiez que la journée d’hier 31[5], n’a pas eu les conséquences graves auxquelles elle pouvait donner lieu. C’est ce qu’il importe que vous sachiez bien, s’il vous en arrive quelque récit incomplet. Le 3eme vésicatoire, placé sur le côté droit de la poitrine a produit l’effet attendu, mais il reste une certaine paresse de ce poumon, avec expectorations très diminuées, au reste, et toux très fatigante, qui malgré des calmants (jusquiame[6]), trouble beaucoup le repos de la nuit, mais cesse presque complètement dans la journée. Le ventre a grossi, par suite d’un peu d’épanchement d’eau, qui augmente beaucoup l’oppression, pour l’ascension de l’escalier, que je monte après déjeuner et après dîner ; les jambes, d’ailleurs, mais surtout les cuisses, restent très gonflées, ce qui est une gêne extrême, non seulement pour la marche dans l’appartement, mais même pour tous les mouvements, dont aucun ne s’accomplit sans amener de l’oppression. Aussi, Lecointe[7] a-t-il désiré que je fusse examiné par Barth, qui viendra demain. Du reste, mon état général continue à être bon. Mes digestions se font bien. Depuis près de quatre semaines, je n’ai pas senti l’air du dehors. On chauffe le calorifère, et l’on ne fait qu’accidentellement du feu au salon, mais, tous les matins, on en fait dans ma chambre. Le soir, nous jouons aux cartes, ou aux dominos.

Adèle et son monde[8] vont très bien, seulement Pierre tousse. Il se développe très bien.

Ma femme[9] irait très bien, si ma toux ne nuisait à son sommeil.


Notes

  1. Voir le récapitulatif des lettres envoyées dans le livre de copies : Lettres de Monsieur Auguste Duméril, 2e volume, page 594.
  2. Charles Auguste Duméril.
  3. Paul Duméril, son fils.
  4. Adèle Duméril, épouse de Félix Soleil (en poste à Chaumont).
  5. Le 31 octobre 1870 une manifestation populaire de parisiens proteste contre la politique militaire du Gouvernement de la Défense nationale et proclame la Commune.
  6. La jusquiame, plante de la famille des solanacées, a des propriétés narcotiques et toxiques.
  7. Le docteur Charles Édouard Lecointe.
  8. Adèle et ses enfants ; Marie, Léon et Pierre Soleil.
  9. Eugénie Duméril.

Notice bibliographique

D’après le livre de copies : Lettres de Monsieur Auguste Duméril 2me volume (pages 630-633)

Pour citer cette page

« Mardi 1er novembre 1870 (A). Lettre d’Auguste Duméril (Paris) à son frère Louis Daniel Constant Duméril et son épouse Félicité Duméril (Morschwiller) », Une correspondance familiale (D. Poublan et C. Dauphin eds.), https://lettresfamiliales.ehess.fr/w/index.php?title=Mardi_1er_novembre_1870_(A)&oldid=58803 (accédée le 19 mars 2024).

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