Lundi 7 novembre 1870 (A)

De Une correspondance familiale

Lettre d’Auguste Duméril (Paris) à son frère Louis Daniel Constant Duméril et son épouse Félicité Duméril (Morschwiller)

livre de copies, vol. 2, p. 633 (lettre 1870-11-07A).jpg livre de copies, vol. 2, p. 634 (lettre 1870-11-07A).jpg livre de copies, vol. 2, p. 635 (lettre 1870-11-07A).jpg livre de copies, vol. 2, p. 636 (lettre 1870-11-07A).jpg


(cinq jours avant décès).

Paris le 7 Novembre 1870.

Mes chers amis,

Sans savoir si les ballons montés constituent un service de poste un peu fidèle, je me reprocherais de n’en pas user, alors même qu’il n’emporterait ou ne ferait pas arriver à son but tout ce qu’on lui confie.

Nous sommes tellement privés de rester si longtemps sans lettres, qu’on éprouve le besoin de tenter de ne pas laisser les autres dans cette privation. Si je mets une certaine régularité à vous écrire, ce n’est cependant pas que j’aie grand’chose de bon à vous dire sur ma santé. Lecointe[1] a voulu avoir, de nouveau, l’avis de Barth, qui, venu le 2 Novembre, a constaté, comme Lecointe, une diminution, très notable, du foie, et ils ont reconnu que si cet organe a évidemment joué un rôle dans la compression des gros vaisseaux veineux, cause de l’œdème toujours persistant, au même degré, des membres inférieurs, il n’en était pas la seule cause déterminante : c’est surtout, suivant leur manière de voir actuelle, aux glandes lymphatiques de la cavité abdominale, hypertrophiées, et capables, par leur volume ainsi très augmenté et par leur nombre, de produire une grande gêne des vaisseaux veineux, pendant le passage de ces derniers à travers la cavité du ventre, qu’il faut rapporter le gonflement du ventre, et l’épanchement de liquide aqueux, produit dans le ventre. C’est surtout à cet épanchement et à l’affaiblissement, bien naturel à la suite d’un état maladif si prolongé, qu’il faut attribuer l’accroissement extrême de l’essoufflement. Il est devenu tel, que l’ascension de l’escalier, après déjeuner et après dîner, c’était un labeur tellement pénible, qu’on s’est décidé à abandonner la salle à manger, et à prendre les repas dans le petit salon du 1er, ce qui est un grand soulagement pour moi. Tous les mouvements me sont rendus si pénibles, par l’essoufflement qu’ils déterminent, que mère[2] et fille[3], dans leur touchante et affectueuse sollicitude, me viennent constamment en aide. Bien que la pleurésie soit finie, et que je n’aie plus d’eau dans la poitrine, je ne suis malheureusement pas débarrassé de la toux (l’expectoration est extrêmement diminuée). Il résulte de cette toux que je n’ai malheureusement pas de bonnes nuits. Mes digestions se font bien, mais je mange moins, surtout depuis que le bœuf, le mouton, et, plus souvent, le cheval, fournissent le plat de viande. Des œufs, des sardines, des légumes frais, presque chaque jour, de la cervelle, des pieds de mouton : voilà ce qui fait le fond de ma nourriture.

Je prends maintenant, comme fortifiant, du vin de Quinquina. L’iodure de potassium, l’arséniate de fer, sont, en ce moment, mis en usage. Barth ne considère pas comme absolument grave l’état où je me trouve, mais, avec Lecointe, il prévoit une longue durée. Ne vous tourmentez donc pas : je vous raconte les choses comme elle sont, ne voulant pas mettre de réticences dans mon récit. Mme Dunoyer[4], arrivée ici, avec Anatole, depuis le commencement de la guerre, vient d’avoir une pleurésie grave : elle est heureusement hors d’affaire. Jeudi, service de bout de l’an de M. de Tarlé[5]. Auguste[6] a de bonnes nouvelles de Paul. Il a une permission pour aller le voir à Issy. Il se trouve bien de dîner avec nous.

Ici, grands et petits[7] vont bien. Nous espérons qu’il en est de même chez vous, et à Vieux-Thann[8].


Notes

  1. Le docteur Charles Édouard Lecointe.
  2. Eugénie Duméril, épouse d’Auguste Duméril.
  3. Adèle Duméril, épouse de Félix Soleil et fille d’Auguste.
  4. Clarisse Ghiselain épouse de Charles Dunoyer et mère d’Anatole.
  5. Antoine de Tarlé.
  6. Charles Auguste Duméril, père de Paul.
  7. Les petits : les 3 enfants d’Adèle, Marie, Pierre et Léon Soleil.
  8. Vieux-Thann où vivent les Mertzdorff.

Notice bibliographique

D’après le livre de copies : Lettres de Monsieur Auguste Duméril 2me volume (pages 633-636)

Pour citer cette page

« Lundi 7 novembre 1870 (A). Lettre d’Auguste Duméril (Paris) à son frère Louis Daniel Constant Duméril et son épouse Félicité Duméril (Morschwiller) », Une correspondance familiale (D. Poublan et C. Dauphin eds.), https://lettresfamiliales.ehess.fr/w/index.php?title=Lundi_7_novembre_1870_(A)&oldid=58794 (accédée le 18 décembre 2024).

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