Lundi 6 novembre 1876

De Une correspondance familiale

Lettre de Marie Mertzdorff (Paris) à son père Charles Mertzdorff (Vieux-Thann)

original de la lettre 1876-11-06 pages 1-4.jpg original de la lettre 1876-11-06 pages 2-3.jpg


Paris le 6 Novembre 76.

Mon Père chéri,

C’est vraiment bien mal à moi de n’avoir pas trouvé moyen dans toute ma journée d’hier de t’écrire un seul mot et cependant je n’ai pas fait grand-chose ; en nous levant Emilie[1] m’a prouvé qu’il fallait absolument déchiffrer et comme moi-même je cherchais à me persuader que c’était absolument indispensable je n’ai pas été longue à me décider, voilà donc l’emploi de notre temps jusqu’au déjeuner ; ensuite nous avons été à la messe puis nous avons pris le tramway pour aller à Ivry au cimetière d’oncle Julien[2] d’où nous sommes revenues par l’omnibus ; nous avons été faire une visite à oncle[3] dans son nouveau laboratoire ce qui nous arrive souvent le Dimanche maintenant, et après une seconde visite à bonne-maman Desnoyers[4] qui était un peu prise et ne pouvait pas sortir ; bon-papa aussi a un très fort rhume. Enfin nous sommes rentrées en passant par l’appartement ; il était près de deux heures et demie, tante Cécile[5] et Jean nous attendaient, ils sont restés quelques temps ici puis ils ont emmené Emilie chez Mme Pavet[6] pour jouer au croquet pendant que j’allais à la douche !

En rentrant j’ai aidé oncle à por retirer les tiroirs de son meuble de chêne et à les porter dans la bibliothèque ; puis je suis remontée et comme j’étais toute seule au lieu de t’écrire (voilà où a été la faute) je me suis mise à regarder dans les tiroirs de mon cher bureau à en tirer de vieux petits cahiers et à lire… tant et si bien que quand Emilie et Marthe[7] sont arrivées l’heure de la poste était passée ; je me suis mise alors à ranger les provisions de papier & et à les mettre en caisse ; les paquets avancent beaucoup, presque toutes les armoires sont vidées et les lignes bien serrées de paquets jonchent les chambres ; si tu voyais la tienne dans ce moment-ci, mon pauvre petit père ! c’est à peine si on peut y entrer encore il n’y a plus de rideaux ni à la fenêtre ni au lit mais par contre les rideaux neufs pliés n’y manquent pas ; Aimez-vous les rideaux ? on en a mis partout !

Les tableaux sont presque tous posés déjà dans l’hôtel Vauverey (puisque c’est de ce nom pompeux qu’on l’appelait jadis) et ils y font assez bon effet ; les papiers sont presque entièrement collés au second, et les peintres sont déjà à laver l’escalier et les fenêtres ; comme tu vois cela avance énormément et j’espère que nous pourrons nous y installer bientôt car cette pauvre maison si délabrée n’est plus agréable du tout ; nous avons dans toutes nos chambres un système très compliqué de verrous remplaçant les serrures, si bien que pour aller du petit salon dans ta chambre il faut passer par la nôtre et sortir sur l’escalier ; juge du charme de ces petits voyages.

Il fait aujourd’hui un temps splendide ; on nous avait fait ce matin un feu énorme et nous étouffions mais nous venons d’ouvrir notre fenêtre et maintenant un air et un soleil délicieux pénètrent ; nous allons nous habiller et partir dans le jardin de tante Louise car en ce moment tante[8] sort le moins qu’elle peut. Samedi cependant nous avons fait des courses toute la journée toujours à la recherche de chapeaux, si tu savais comme ils sont laids cette année, j’aurais bien voulu que tu me voies avec certaines toques que les marchandes m’avaient essayées !

Adieu, mon bon petit papa, à bientôt je l’espère mais cependant il me semble que tu ferais peut-être mieux d’attendre que nous couchions de l’autre côté ; que t’en semble ? Je t’embrasse de tout mon cœur comme je t’aime,

Ta fille qui ne fait que dire des bêtises depuis ce matin
Marie

Emilie prétend que nous avons travaillé comme à Pau en écrivant notre journal ; que n’y somme-nous encore ?


Notes

  1. Emilie Mertzdorff, sœur de Marie.
  2. Julien Desnoyers.
  3. Alphonse Milne-Edwards.
  4. Jeanne Target, épouse de Jules Desnoyers.
  5. Cécile Milne-Edwards, épouse d’Ernest Charles Jean Baptiste Dumas et mère de Jean Dumas.
  6. Louise Milne-Edwards, veuve de Daniel Pavet de Courteille.
  7. Marthe Pavet de Courteille.
  8. Aglaé Desnoyers, épouse d’Alphonse Milne-Edwards.

Notice bibliographique

D’après l’original

Pour citer cette page

« Lundi 6 novembre 1876. Lettre de Marie Mertzdorff (Paris) à son père Charles Mertzdorff (Vieux-Thann) », Une correspondance familiale (D. Poublan et C. Dauphin eds.), https://lettresfamiliales.ehess.fr/w/index.php?title=Lundi_6_novembre_1876&oldid=40596 (accédée le 11 octobre 2024).

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