Lundi 5 février 1872
Lettre d’Eugénie Desnoyers, épouse de Charles Mertzdorff (Vieux-Thann) à sa mère Jeanne Target, épouse de Jules Desnoyers (Paris)
Lundi soir 11h
Chère bonne Mère,
Il y a 24 heures que le chemin de fer nous emportait loin de vous, mais nos pensées ne vous quittent pas tu le sais bien ; et nous savons tous trop bien jouir des réunions de famille pour ne pas tâcher de les renouveler le plus souvent possible. Vous avez été bien bons de nous avoir accompagnés à la gare de Strasbourg, j'espère que vous êtes rentrés facilement au Jardin et que comme nous, vous aurez parlé du bonheur de que nous avons eu près de vous et qui j'espère se retrouvera encore plusieurs fois cette année. Dis à papa[2] que j'ai regretté de ne pas l'avoir débauché de son cabinet hier pour l'emmener avec nous chez Aglaé[3], une autre fois, il faudra bien qu'il le fasse, au risque de ne pas terminer un rapport, embrasse-le bien fort en attendant.
Nous avons fait un excellent voyage, nous étions seuls dans un vaste wagon aussi Emilie[4] n'a-t-elle fait qu'un somme de Paris à Belfort sans se retourner ; de Marie[5] je pourrais presque en dire autant, et je crois que nous[6] ne les avons pas imitées de trop loin, et ce matin nous souhaitions que papa et toi ayez aussi bien reposé que nous.
A la douane nous n'avons pas eu d'ennui (nos caisses n'ont pas été ouvertes et pour l'objet déclaré nous avons payé 7 F). Une fois sur la ligne Prussienne les lenteurs ont commencé, et on a mis notre train de côté, et c'est alors que tes bonnes petites provisions ont été appréciées, les croquignoles se sont mangées en guise de pain avec accompagnement de chocolat ; et déjà le soir tes oranges avaient été appréciées à leur juste valeur.
Merci donc, chère maman, pour toutes tes attentions, et pour tout ce que tu as fait pour nous chez toi ; on nous a trouvé bonne mine et Nanette[7], qui était très contente de nous revoir de retour, riait en disant qu'on nous avait bien donné à manger ! Je crois bien qu'on nous a bien soignés, lui ai-je dit, les mamans c'est toujours comme cela.
A la gare de Mulhouse nous avons trouvé les grands-parents Duméril[8] qui avaient présumé (d'après une lettre de Léon[9]), qu'il y avait chance de nous voir arriver ce matin ; nous avions près d'une heure de retard et avons avalé en poste une tasse de café pour reprendre le train de 10h. A 11h ½ nous étions ici, nous avons trouvé tout en bonne ordre ; nous avons défait et rangé tout, effets, livres & (à ce sujet les cartes de Charles en feuilles sont restées à Paris, elles doivent être parmi les journaux illustrés, il y en a peut-être quatre pliées en deux). Je crois avoir laissé dans l'armoire du cabinet de toilette, près d'un chapeau une petite fanchon au filet, c'est l'ouvrage de ma petite Emilie ; mets-la de côté si tu la trouves, tu me l'apporteras quand tu viendras. Elle est retrouvée
A partir de Belfort nous avons trouvé de la glace sur les étangs et le grand canal ; il paraît que depuis 8 jours il gèle dans le pays, la journée a été superbe. Hier soir c'étaient des lueurs rouges que Cécile[10] a prises pour les effets d'un incendie, nous avons pu les constater fort avant dans la nuit, et ici même elles ont été remarquées. Quel signe est-ce ? Sans réponse.
Les esprits sont remontés paraît-il en Alsace, on m'a rapporté de fort bonne foi, que la souscription marche si bien qu'avant 18 mois nous serons redevenus français !... Voici les nouvelles que j'ai apprises de la bouche de MM. Heuchel[11] et André[12].Charles n'a rien trouvé de particulier, les pièces baissent tellement ici et à Morschwiller que la semaine prochaine on restera plusieurs jours sans travailler, il y a eu encore une fille qui s'est fait prendre le doigt dans une machine où elle n'avait que faire... mais c'est toujours triste de voir des gens s'estropier chez soi et pour rien.
Demain les Duméril viendront dîner avec nous, ils m'ont déjà chargée de bien des amitiés pour vous, et comme le matin nous reprenons les leçons (c'est une vraie fête pour les deux fillettes) je n'aurais pas été sûre d'avoir le temps de t'écrire, c'est pourquoi ma bonne petite mère quoiqu'il soit près de minuit je tiens encore à t'embrasser en te priant d'en faire autant à papa, Aglaé et Alfred[13] et Alphonse[14] et de garder pour toi les tendresses de notre quatuor
Eugénie M.
Bien des choses aux ménages François[15] et à Jean et à <sa femme>[16]
Notes
- ↑ Lettre sur papier deuil.
- ↑ Jules Desnoyers.
- ↑ Aglaé Desnoyers, épouse d’Alphonse Milne-Edwards.
- ↑ La petite Emilie Mertzdorff.
- ↑ Marie Mertzdorff, sœur d’Emilie.
- ↑ Eugénie Desnoyers et son époux Charles Mertzdorff.
- ↑ Annette, cuisinière chez les Mertzdorff.
- ↑ Félicité Duméril et son époux Louis Daniel Constant Duméril.
- ↑ Léon Duméril, leur fils.
- ↑ Cécile, bonne des petites Mertzdorff.
- ↑ Georges Heuchel.
- ↑ Probablement Jules André.
- ↑ Alfred Desnoyers.
- ↑ Alphonse Milne-Edwards.
- ↑ François, domestique chez les Desnoyers.
- ↑ Jean et son épouse Amélie, domestiques chez Alfred Desnoyers.
Notice bibliographique
D’après l’original
Pour citer cette page
« Lundi 5 février 1872. Lettre d’Eugénie Desnoyers, épouse de Charles Mertzdorff (Vieux-Thann) à sa mère Jeanne Target, épouse de Jules Desnoyers (Paris) », Une correspondance familiale (D. Poublan et C. Dauphin eds.), https://lettresfamiliales.ehess.fr/w/index.php?title=Lundi_5_f%C3%A9vrier_1872&oldid=40568 (accédée le 15 novembre 2024).
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