Lundi 31 octobre, mardi 1er et mercredi 2 novembre 1870
Lettre d’Eugénie Desnoyers (épouse de Charles Mertzdorff) (Vieux-Thann) à ses filles Marie et Emilie Mertzdorff (à Morschwiller chez leurs grands-parents)
31 Octobre 10h du soir
Mes chères bonnes petites filles,
Je viens tenir ma promesse en m'adressant de suite à mes deux chéries pour leur dire que je pense bien à elles et que moi aussi je serai bien heureuse d'aller les retrouver. Je vous ai regardées par la petite fenêtre, encore sur la route j'ai aperçu vos deux petits minois auxquels j'ai envoyé de bons petits baisers. Je vous fais compliment sur votre sagesse. La pluie et le vent m'ont accompagnée tout le long du chemin j'ai tricoté et pensé à mes petites filles, je les voyais avec la chère bonne-maman[1] tâchant de bien employer leur temps, s'installant dans le cabinet avec Cécile[2] qui aura trouvé moyen de vous distraire en vous racontant quelques histoires amusantes de Marie Bornèque.
J'ai fait remettre de suite votre lettre pour les petites amies[3] ; demain j'irai voir ces dames pour leur faire la proposition que vous savez bien et si on accepte je tâche de vous les expédier de suite. A mon arrivée on annonçait les Prussiens à Wittelsheim tout près de Cernay mais ils ne sont pas encore venus, le vent souffle toujours.
Nanette[4] a bien soigné vos oignons je n'ai pas encore mesuré la longueur des pousses ce sera votre ouvrage. Fifi va bien, il dormait sur son perchoir dans la salle à manger pendant notre souper, comme je pense que vous en faites autant dans vos bons petits lits, je vous embrasse bien fort et papa[5] et moi souhaitons une bonne nuit à nos bonnes petites filles.
Mardi 3h Bonjour, mes Chéries, Comment allez-vous tous ? J'espère que vous avez bien dormi et que les bons anges gardiens veillent toujours sur mes petites filles.
A 8h1/2, comme père et moi avions fini de déjeuner, on est venu annoncer les Prussiens et en effet nous avons entendu une vingtaine de coups de canon ; l'ennemi sortait de Cernay et a tiré sur la fabrique Gros ; les francs-tireurs ont dû riposter ; les familles habitant les maisons près de cette fabrique ont fui vers Thann. D'autres coups de canon ont été tirés sur Steinbach, la maison du maire[6] en aurait reçu une vingtaine. Voilà ce qui se rapporte. Puis on n'a plus rien entendu. Avec les longues vues on a distingué un corps d'armée, cavalerie, artillerie, ambulance se dirigeant sur Aspach et... probablement Belfort ? et qui a défilé jusqu'à 2h dans la plaine. Ce n'est donc probablement pas encore pour aujourd'hui... peut-être demain. Je souhaite que ce soit le plus prochainement possible, afin d'aller bien vite vous chercher. Ceci se passait à l'heure d'aller à la grand'messe et père nous a fait rester à la maison. En ce moment tout paraît calme, Nanette et Thérèse[7] sont aux Vêpres qu'on n'a pas sonnées, par contre le tocsin avait résonné ce matin, lorsque les coups de canon se sont fait entendre. Je n'ai pas encore vu Mme André[8], mais père a fait la commission à Mme Berger, seulement on ne peut pas embarquer les petites amies sur la grande route lorsqu'on sait les Prussiens y passant avec armes et bagages aussi je ne puis pas vous dire ce que décidera leur maman.
Ma petite Emilie, j'ai tenu ma promesse et tu pourras voir à mon cou, avec mes médailles et la bague de petite Mère[9], le petit médaillon contenant les cheveux de mes deux chéries que j'espère embrasser bientôt, en attendant que Marie embrasse Emilie, qu'Emilie embrasse Marie de ma part et de celle de papa, et que les deux petites filles en fassent autant à la chère bonne, bonne-maman.
Mercredi 10h Je rentre de l'Eglise, bonjour, mes chéries. J'ai le temps bien long aussi après vous et je pense que Vendredi ou Samedi j'irai vous trouver et que d'ici-là les choses seront finies ici et que je pourrai vous ramener. Les francs-tireurs sont partis cette nuit mais la garde nationale <veille !> etc.
Les Prussiens doivent être à <St Ehm> Je ne puis envoyer à Cécile son jupon cela ferait un trop gros paquet, elle aura le temps de jouer avec vous si absolument elle n'a plus même ses bas à tricoter elle pourra prendre les chemises de flanelle, tout ce qu'il faut est dans chaque, sauf le tout petit morceau pour arrêter les fronces devant et elle pourra prendre pour cela l'échancrure des devants à l'entournure des manches. Fais bien mes amitiés à Cécile.
Malgré mon regret de n'être pas avec vous, mes petites filles, vous qui êtes si raisonnables vous devez comprendre qu'il est utile que je sois avec père à la maison en ce moment, et puis ça va être vite passé et comme nous allons être heureuses de nous rembrasser.
Nous ne pouvons attendre les lettres des petites Berger je vous les enverrai par la poste.
Encore de bien gros baisers à ma petite Marie et à ma Founichon[10], votre maman qui vous aime beaucoup beaucoup
Eugénie M.
Notes
- ↑ Félicité Duméril, épouse de Louis Daniel Constant Duméril.
- ↑ Cécile, bonne des petites Mertzdorff.
- ↑ Marie et Hélène Berger, filles de Joséphine André, fille de Louis Berger.
- ↑ Annette, domestique chez les Mertzdorff.
- ↑ Charles Mertzdorff.
- ↑ Joseph Rollin, maire de Steinbach de 1864 à 1887.
- ↑ Thérèse Neeff, domestique chez les Mertzdorff.
- ↑ Marie Barbe Bontemps, veuve de Jacques André, grand-mère des petites Berger.
- ↑ Caroline Duméril, première épouse (décédée) de Charles Mertzdorff et mère des fillettes.
- ↑ Founichon : Emilie Mertzdorff.
Notice bibliographique
D’après l’original
Pour citer cette page
« Lundi 31 octobre, mardi 1er et mercredi 2 novembre 1870. Lettre d’Eugénie Desnoyers (épouse de Charles Mertzdorff) (Vieux-Thann) à ses filles Marie et Emilie Mertzdorff (à Morschwiller chez leurs grands-parents) », Une correspondance familiale (D. Poublan et C. Dauphin eds.), https://lettresfamiliales.ehess.fr/w/index.php?title=Lundi_31_octobre,_mardi_1er_et_mercredi_2_novembre_1870&oldid=43073 (accédée le 22 décembre 2024).
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