Lundi 29 août 1859 (A)

De Une correspondance familiale


Lettre de Félicité Duméril (Paris) à sa tante Fidéline Cumont


Paris 29 Août 1859

Chère et bonne tante,

Il est inutile que je vous dise combien vous êtes souvent présente à ma pensée. Je voudrais tant que vous soyez dès à présent récompensée de tout ce que vous avez fait dans ce monde et malheureusement je sais combien vous et mon excellent oncle[1], vous êtes souvent péniblement occupés du présent et de l'avenir. Lorsque je suis avec Eléonore[2] dont toutes les belles qualités et celles de son mari me rendent si fière, la conversation revient sans cesse sur vous, ses yeux se remplissent de larmes en songeant à l'inégalité des positions de sa famille et elle me dit : non, ils ne se représentent pas à la Pastourellerie combien nous les aimons, combien nous avons constamment en vue ce qui les touche et pourrait apporter une amélioration à leur position ; les questions que nous leur adressons sont toutes dirigées dans un but d'intérêt pour eux, mais pourquoi mon frère et ma sœur qui nous aiment cependant ne répondent-ils pas à l'élan de nos cœurs et n'ont-ils pas en nous une entière confiance, en nous faisant connaître leur position telle qu'elle est, et elle ajoute : l'homme le mieux intentionné, le plus rempli de courage et le plus assidu à l'accomplissement du devoir peut cependant se tromper dans le résultat d'un travail qu'il a entrepris mais alors ne doit-il pas profiter des moyens que la Providence lui envoie de pouvoir améliorer son sort, et ces moyens il peut quelquefois les trouver dans les idées des personnes dont il connaît le cœur et le dévouement, mais pour arriver à cette fin il faut agir avec confiance et savoir donner un exposé complet d'une position qui peut devenir chaque jour plus difficile en raison de la rapidité du temps qui complique tout. C'est là ma bonne tante une de mes conversations les plus habituelles avec nos excellents parents Fröhlich et avec ma mère[3]. L'an dernier, à pareille époque, vous vous rappelez la proposition qui vous a été faite et qui était le résultat d'entretiens qui n'avaient qu'un but celui de votre intérêt. M. Fröhlich en avait écrit à mon oncle Cumont[4] il lui soumettait toutes choses et le priait en sa qualité de frère aîné d'être l'interprète de sa pensée auprès de vous, c'était par un sentiment de délicatesse que M. Fröhlich avait agi ainsi. On s'était dit que notre cher oncle et vous ma bonne tante qui avez tant travaillé vous pourriez peut être vous retirer auprès de l'excellent Théophile avec Pauline et Eléonore[5], que les trois aînés auraient seuls la responsabilité et la gestion de la Pastourellerie on appuyait cette pensée sur ce que bien souvent quand on est nombreux – les avis étant différents, chacun faisait une concession qui pouvait devenir fatale au résultat d'une année. On ajoutait que les enfants arrivés à un certain âge pouvaient être appelés à devenir chefs à leur tour avec l'agrément de leurs parents ceux-ci ne pouvant qu'être heureux de voir voler de leurs propres ailes leurs enfants dont les actions les rendent plus fiers que celles qui leur sont personnelles. Bien entendu, qu'un arrangement de ce genre demandait en même temps une pension qui vous fût assurée par ceux de la famille qui ont le bonheur d'avoir de la fortune et en la recevant vous pouviez vous dire que vous l'auriez faite bien largement pour eux si les positions réciproques eussent été différentes. Pardon ma chère tante d'entrer dans tous ces détails qui sont pour chacun la source d'un grand intérêt et auxquels le bon Guillaume[6] a pris aussi une vive part. Permettez-moi donc de vous dire avec tout l'attachement et le respect que je vous porte de bien peser les propositions qui peuvent vous être faites avant de les repousser.

Mon pauvre Constant[7] a été bien souffrant par des clous successifs qui lui sont venus derrière la tête, j'espère qu'il ne tardera pas à en être débarrassé, tous deux nous allons être bien heureux de pouvoir faire le voyage de Vieux-Thann d'où nous recevons d'excellentes nouvelles. Notre bonne Caroline[8] est aussi heureuse qu'elle le mérite et sa petite Marie[9] est devenue une grosse fille dont nous sommes tous bien occupés. Adieu mon excellente tante, recevez avec mon cher oncle et vos bons enfants l'assurance de tout notre attachement.

F. Duméril

Nous recevons d'excellentes nouvelles de Trouville, Eugénie[10] se porte à merveille ainsi qu'Adèle.


Notes

  1. Théophile (Charles) Vasseur.
  2. Eléonore Vasseur, épouse d’André Fröhlich.
  3. Alexandrine Cumont, veuve d’Auguste Duméril l’aîné, et sœur de Fidéline.
  4. Jean Charles Cumont.
  5. Théophile (Charles) Vasseur et Fidéline Cumont ont six enfants ; Théophile (Léonard), Angélique et Fidéline (les trois aînés), Henri, Pauline et Eléonore (les trois suivants).
  6. Guillaume Declercq, beau-frère de Fidéline.
  7. Louis Daniel Constant Duméril, époux de Félicité.
  8. Caroline Duméril, épouse de Charles Mertzdorff, à Vieux-Thann.
  9. Marie Mertzdorff née le 15 avril 1859.
  10. Eugénie Duméril, sœur de Félicité, passe l’été à Trouville avec sa fille Adèle.

Notice bibliographique

D’après l’original.

Pour citer cette page

« Lundi 29 août 1859 (A). Lettre de Félicité Duméril (Paris) à sa tante Fidéline Cumont », Une correspondance familiale (D. Poublan et C. Dauphin eds.), https://lettresfamiliales.ehess.fr/w/index.php?title=Lundi_29_ao%C3%BBt_1859_(A)&oldid=40495 (accédée le 18 décembre 2024).

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