Lundi 26 octobre 1914

De Une correspondance familiale

Lettre d’Emilie Mertzdorff, épouse de Damas Froissart (Campagne-lès-Hesdin) à son fils Louis Froissart (Paris)

original de la lettre 1914-10-26.jpg


Brunehautpré
CAMPAGNE-LÈS-HESDIN
Brimeux
Pas-de-Calais
[1]

26 Octobre

Mon cher Louis,

As-tu fini par arriver à Paris ? Nous serons heureux d’avoir des nouvelles de ton voyage, mais les lettres sont longues à arriver et nos courriers toujours bien irréguliers ; il faut nous armer de patience. On disait Avant-hier à Montreuil que les trains pour Paris n’allaient plus, et je te voyais déjà en panne à Abbeville avec ta valise ! mais j’ai bien vite pensé qu’un garçon aussi débrouillard que mon fils ne serait pas resté en panne et que s’il n’avait pu gagner Paris de quelque manière, il aurait au moins trouvé le moyen de ramener ici sa valise.

Depuis ton départ j’ai eu passablement de fièvre et M. Hallette m’a déclaré hier que j’avais un peu de bronchite et devrais me résigner à garder encore le lit au moins aujourd’hui. La fièvre est tout à fait passée, c’est bon signe et j’espère n’en avoir plus longtemps à soigner mon auguste personne.

Les mille réfugiés, femmes et enfants qui ont succédé Samedi à 400 hommes sont partis ce matin. Le bruit court qu’il en viendra encore d’autres.

Nous avons eu encore une carte de Pierre[2] hier, il a été très occupé dit-il et ne peut écrire longuement. Aucun détail sur la nature de ses occupations.

D’Elise[3] toujours rien. Il est arrivé hier pour elle une carte de son frère Maurice[4] qui est, croyons-nous près d’Armentières. Il lui demande des nouvelles de leurs parents[5] et un peu d’argent. Nous allons lui envoyer celui-ci, mais pas celles-là, hélas !

Tu sauras par ma lettre à Lucie[6] la blessure de Marc Dupont[7].

L’appartement doit te paraître grand, seul dans le quartier des garçons !

J’ai fini, ou peu s’en faut (de 10 p. peut-être) le Démon de Midi qui m’a puissamment intéressée jusqu’au bout. Quelle sûreté et quelle profondeur d’analyse, quel fouilleur d’âmes que ce Bourget ! Ce drame de la conscience chez le croyant, cette lutte entre la grâce qu’il sent et qu’il voudrait suivre et sa passion qu’il réprouve tout en y succombant, tout cela est tracé avec un talent merveilleux. Je trouve bien remarquable aussi, quoiqu’elle soit moins poussée, l’étude du prêtre renégat qui cesse d’être apôtre, même à ses propres yeux aussitôt qu’il a cédé à sa passion. A mon avis c’est avec comme « Un divorce », un des chefs d’œuvre de Bourget.

As-tu des nouvelles de Michel[8] ? nous n’en avons pas.

Je t’embrasse bien affectueusement, mon cher petit. Amitiés à Lucie et une petite caresse aux enfants[9].

Ton papa[10] t’embrasse aussi.

Emy

La lettre adressée à l’Industrielle Foncière pour le loyer lui est revenue.


Notes

  1. Papier à en-tête.
  2. Pierre Froissart, frère de Louis.
  3. Elise Vandame, épouse de Jacques Froissart.
  4. Maurice Vandame.
  5. Paul Vandame et son épouse Zélia Vandewynckele.
  6. Lucie Froissart, épouse de Henri Degroote.
  7. Marc Ghislain Dupont.
  8. Michel Froissart, frère de Louis.
  9. Anne Marie, Suzanne, Georges et Geneviève Degroote.
  10. Damas Froissart.

Notice bibliographique

D’après l’original

Pour citer cette page

« Lundi 26 octobre 1914. Lettre d’Emilie Mertzdorff, épouse de Damas Froissart (Campagne-lès-Hesdin) à son fils Louis Froissart (Paris) », Une correspondance familiale (D. Poublan et C. Dauphin eds.), https://lettresfamiliales.ehess.fr/w/index.php?title=Lundi_26_octobre_1914&oldid=55419 (accédée le 18 avril 2024).

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