Lundi 24 août 1846

De Une correspondance familiale

Lettre d’Auguste Duméril (Lille) à son père André Marie Constant Duméril (Paris), complétée par son épouse


d’André Auguste Duméril.

 

Lille 24 Août 1846, midi.

Je te remercie beaucoup, mon cher papa, de la lettre que j’ai eu le plaisir de recevoir de toi ce matin. Nous sommes bien heureux, Eugénie[1] et moi, d’apprendre que maman[2] va mieux : je ne suis pas étonné qu’il soit survenu un vomissement, après notre départ, et je l’espérais, car j’ai déjà vu dans d’autres circonstances, où maman était indisposée de la même manière, le mieux ne commencer qu’après le vomissement. Puisqu’elle était bien, hier matin, vous avez sans doute suivi votre projet de dîner chez Félicité[3]. Cette pauvre petite Caroline, elle, qui n’a jamais d’indigestion, comment se fait-il qu’elle ait été indisposée ? j’espère bien que, dans la prochaine lettre que nous recevrons, on nous dira comment elle est.

Voici Adèle mise à un régime qui n’est plus du tout celui de Paris : il n’est plus question de biberon : elle mange de la viande plus qu’elle ne faisait, et paraît enchantée de ce nouveau genre de vie.

Nous avons suivi hier les projets que nous avions formés. Nous avons vu Charles[4], dont la maigreur est extrême, surtout, les membres : ses bras, que nous vus hors du lit, sont presque décharnés. Son regard est tout à fait incertain, et, à chaque instant, il ferme les yeux convulsivement, comme si la lumière le gênait, quoiqu’il tourne le dos au jour ; il y a strabisme complet, et la parole est tout à fait inintelligible, pour tout autre que pour sa mère[5]. Sa grande préoccupation est de savoir si l’heure de ses repas approche, et ce qu’on lui donnera à manger. C’est un bien triste spectacle pour toute cette famille, qui éprouve une consolation, par la pensée du prochain mariage de Clémentine[6], qui est une jeune personne d’un joli extérieur et d’une très agréable physionomie. Sa sœur Dorothée, que je ne connaissais pas, me paraît tout à fait bien.

Nous avons été à la campagne de M. Valery[7], qui est à une bonne ½ lieue[8] de la ville, et Adèle a bien marché, les 2/3 du temps que nous avons employé à faire l’aller et le retour. En revenant, nous sommes entrés chez Mme Le Thierry[9], mère de Mme Virnot[10], l’amie intime de ma femme, et qui habite une très belle maison, non achevée. Elle nous a invités à dîner pour mercredi à 5 heures : ce sera, pour Eugénie, une nouvelle occasion de se trouver avec Mme Virnot, qui y dînera également ; mais, pour moi, ce ne sera pas très amusant, attendu que M. Le Thierry fait peu de frais. Ce même mercredi, nous passerons la journée à la campagne de M. Valery, chez lequel nous arriverons à 11 heures, pour déjeuner. Nous avons vu ce matin Mme Soyer, qui est venue faire visite chez Mme Vasseur, mais non pas pour nous, car elle ne savait pas que nous fussions à Lille. Elle paraît tout à fait bien, sous le rapport de la raison : elle a beaucoup insisté pour nous avoir à sa campagne, mais nous avons pu refuser. Elle m’a, à plusieurs reprises, parlé de toi et de maman ; je lui ai parlé aussi du bon souvenir que maman a conservé de la journée passée chez elle. Elle s’est beaucoup informée, auprès d’Eugénie, de chacun des membres de sa famille.

Nous allons aller aujourd’hui chez Mme Parvillez[11], chez Mme Lambert, et chez Mlle Béghin[12], où nous n’avons pas été hier, parce qu’elle était à la campagne.

Nous sommes bien heureux d’apprendre que nos concurrents[13] ne sont pas mécontents de la manière dont s’est passée leur première épreuve ; nous désirons bien vivement qu’il en soit de même pour les autres. Que cette question qui est échue à M. Malard paraît ardue et difficile, pour ceux qui ne sont pas versés dans cette matière ! Je désirerais que Julien[14] cherchât Philipeaux, dans le milieu du jour, au laboratoire, pour lui remettre la lettre que j’ai laissée à son adresse, sur le calorifère.

Nous avons appris, ce matin, par Mme Hurtrel, que nous avions été pour voir, hier, sans la rencontrer, et qui nous a rendu notre visite, que Mme Fabre[15] est enceinte, et compte accoucher au mois de décembre. Nous l’avions supposé, au changement survenu dans sa taille, cependant, comme il n’avait rien été dit, nous n’en n’avions pas la certitude. Elle nous a reçus, hier, d’une manière très gracieuse. Elle nous invitera sans doute, mais nous n’avons plus que jeudi et vendredi libres, attendu que Mme Vasseur nous retient pour samedi, jour de l’arrivée de Constant[16] et de Félicité, et de M. Fröhlich[17], qui partira par le premier convoi de Creil, samedi, et qui arrivera, par conséquent, en même temps que nos deux voyageurs.

J’espère que tu auras beau temps pour ta première leçon : ici nous avons de la pluie, mais j’y suis habitué : il me semble n’avoir jamais vu Lille, sans y être mouillé. Nous sommes bien contents que Mme Bibron ait reçu de bonnes nouvelles ; dis-lui, je te prie, tout le plaisir que cela nous fait.

Adieu, mon cher papa, je t’embrasse de tout cœur, en te priant d’en faire autant de ma part à maman.

Ton bien affectionné fils

A AugusteDuméril.

 

d’Eugénie Duméril

 

Mon cher papa et ma chère maman,

Nous avons été bien satisfaits de la lettre qu’Auguste a reçue ce matin, et qui nous fait espérer qu’à l’heure qu’il est, maman est tout à fait remise de son indisposition. Nous pensons aussi que la petite indisposition de Caroline n’aura eu aucune suite. Quant à nous, nous sommes ici reçus avec une affection si sincère, qu’un père et une mère ne pourraient nous montrer une amitié plus vive que mon oncle et ma tante'[18]'. Tous leurs enfants nous témoignent aussi une grande joie de nous revoir, et la douceur de notre petite Adèle fait l’admiration de tout le monde. Ma tante Vasseur en est folle : elle est déjà sortie seule avec notre petite, qui, comme vous le dit Auguste, se regarde absolument comme chez elle, et paraît toute habituée, avec les personnes de la maison. Aujourd’hui, nous dînerons chez ma tante Declercq ; demain, chez Mme Virnot, et après-demain, chez Mme Le Thierry : ce même jour, vous savez que nous déjeunerons chez mon oncle Cumont. Je me trouve si heureuse de parcourir la ville de Lille, et de regarder toutes les maisons, que je ne parle pas beaucoup, en me promenant. A présent, cela va commencer à passer. Dites, je vous prie, à papa et à maman'[19]', que je leur écrirai probablement demain. Je leur envoie, en attendant, ainsi qu’à Félicité et à Constant, mille choses affectueuses.

Je n’ai que le temps de vous dire adieu, en vous priant d’en garder une bonne part pour vous.

E. Duméril.


Notes

  1. Eugénie Duméril, épouse d’Auguste ; ils sont accompagnés de leur fille Adèle (née en 1844).
  2. Alphonsine Delaroche.
  3. Félicité Duméril, épouse de Louis Daniel Constant, mère de Caroline (née en 1836).
  4. Charles Declercq.
  5. Césarine Cumont, épouse de Guillaume Declercq, tante d’Eugénie Duméril.
  6. Clémentine Declercq, sœur de Charles, épouse Félix Devot en septembre 1846.
  7. Valéry Cumont.
  8. Environ 2 km.
  9. Julie Marie Barrois, épouse d’Adolphe Joseph Le Thierry.
  10. Adèle Catherine Le Thierry, épouse de Victor Dominique Virnot.
  11. Hypothèse : Henriette Barrois, épouse (ou veuve) de Jean Baptiste Parvillez.
  12. Clara Béghin.
  13. André Malard et Alfred Duméril sont à Paris pour passer le concours de l’agrégation, de lettres pour le premier, d’histoire pour le second.
  14. Julien, domestique chez les Duméril.
  15. Alexandra van Blarenberghe, épouse de Joseph Fabre.
  16. Louis Daniel Constant Duméril.
  17. André Fröhlich, gérant des forges de Montataire près de Creil, vient à Lille pour épouser Eléonore Vasseur.
  18. Valéry Cumont et son épouse Esther Le Lièvre.
  19. Auguste Duméril l’aîné et son épouse Alexandrine Cumont.

Notice bibliographique

D’après le livre de copies : Lettres de Monsieur Auguste Duméril, 2ème volume, « Voyage à Lille, à l’époque du mariage d’Eléonore, et en Belgique. Détails sur la dysenterie d’Adèle. 1846 », p. 415-421

Pour citer cette page

« Lundi 24 août 1846. Lettre d’Auguste Duméril (Lille) à son père André Marie Constant Duméril (Paris), complétée par son épouse », Une correspondance familiale (D. Poublan et C. Dauphin eds.), https://lettresfamiliales.ehess.fr/w/index.php?title=Lundi_24_ao%C3%BBt_1846&oldid=59254 (accédée le 21 novembre 2024).

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